Le féminicide, à savoir le meurtre d'une femme ou d'une fille en raison de son genre, généralement par un homme, est la forme la plus extrême de violence sexiste.
La militante féministe et universitaire sud-africaine Diana Russell a popularisé le terme « féminicide » pour la première fois en 1976. Elle souhaitait qu'un terme décrivant les meurtres et les assassinats de femmes permette de rallier les activistes à la lutte pour la protection des femmes. Depuis lors, ces activistes ont fait bloc pour s'opposer au féminicide dans le monde entier. En Amérique latine, où le féminicide est particulièrement répandu, le mot « feminicidio » s'est imposé en espagnol.
Malgré les efforts déployés pour mettre fin à la violence sexiste au cours des quatre dernières décennies, le féminicide persiste dans le monde entier. Avec de nombreuses victimes piégées à la maison avec leurs agresseurs en période de confinement, la violence sexiste continue d'augmenter face à la pandémie de COVID-19. Selon les Nations Unies, dans les pays où les homicides sont en baisse, le nombre de femmes tuées est en augmentation.
Voici tout ce que vous devez savoir sur les raisons pour lesquelles les femmes du monde entier vivent encore sous la menace d'un féminicide.
Il existe de nombreuses formes de féminicide, mais certaines sont plus largement reconnues que d'autres. Les « crimes d'honneur », c'est-à-dire les meurtres de femmes ou de filles par un parent masculin ou un autre membre de la famille pour des raisons sexuelles ou d'adultère afin de préserver l'honneur de la famille, se produisent principalement dans certaines régions du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud. En Inde, les femmes meurent souvent aux mains de leur belle-famille en cas de dot insuffisante (la dot est une somme d'argent ou un bien que la mariée verse à la famille du marié avant le mariage, N.D.L.R.).
Le féminicide non intime, qui est quant à lui commis par une personne n'ayant pas de relation intime avec la victime, est plus rare mais se produit toujours. En Amérique latine, ce type de féminicide connaît une augmentation alarmante, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe ou dans la vie nocturne en sont touchées de manière disproportionnée.
A woman holds a photo of gender violence victim Lucia Perez, 16, with the message: "Justice for Lucia Perez in Buenos Aires, Argentina, Dec. 5, 2018. Groups are protesting the ruling that acquitted two men accused of sexually abusing and killing the teen.
A woman holds a photo of gender violence victim Lucia Perez, 16, with the message: "Justice for Lucia Perez in Buenos Aires, Argentina, Dec. 5, 2018. Groups are protesting the ruling that acquitted two men accused of sexually abusing and killing the teen.
Parmi les autres formes de féminicides, les Nations Unies mentionnent aussi les meurtres liés à la sorcellerie, aux conflits armés, à l'identité de genre et à l'orientation sexuelle, ainsi qu'à l'identité ethnique et autochtone.
Les femmes peuvent également mourir par féminicide indirectement à la suite d'avortements pratiqués dans des conditions dangereuses, de mortalité maternelle et de pratiques néfastes, d’après Femicide Watch. Les féminicides peuvent en outre se produire dans un contexte marqué par le trafic d'êtres humains, le trafic de drogue, le crime organisé, la présence de gangs criminels, la négligence et l'inaction de l'État.
Les données sur les féminicides sont limitées en raison de lacunes dans la collecte des informations relatives aux mobiles des crimes ou de l'absence de signalement des faits. Les données disponibles montrent toutefois que 66 000 femmes sont tuées violemment chaque année et qu'elles représentent 17 % des victimes de meurtres.
La recherche a permis d'identifier plusieurs facteurs de risque en matière de féminicides. Les femmes qui ont déjà été maltraitées par leur agresseur, celles qui sont mariées mais qui ont un enfant né de leur union avec un autre partenaire, celles qui ont été séparées de leur partenaire ou celles qui tentent de s'en séparer sont plus vulnérables au féminicide.
Il semble également y avoir une corrélation entre le niveau d'éducation et le féminicide. Les femmes ayant fait des études supérieures sont considérées comme mieux protégées contre de tels actes. En effet, les femmes plus instruites indiquent avoir plus d'autonomie dans leurs relations amoureuses, ce qui suggère qu'elles sont moins dépendantes financièrement d'un partenaire et pourraient se défaire plus facilement d'une situation de violence qui pourrait s'aggraver.
People gather to demonstrate against gender violence in Tijuana, Mexico, Feb. 15, 2020. The demonstration comes after the murder of Ingrid Escamilla by her boyfriend in a country where an average of 10 women are killed every day.
People gather to demonstrate against gender violence in Tijuana, Mexico, Feb. 15, 2020. The demonstration comes after the murder of Ingrid Escamilla by her boyfriend in a country where an average of 10 women are killed every day.
Les femmes sont souvent tuées par quelqu'un qu'elles connaissent bien. Plus d'un tiers des victimes de féminicides en 2017 ont été tuées par leur propre partenaire intime ou par un ancien partenaire, et plus de la moitié ont été tuées par un partenaire intime ou un membre de leur famille, selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Les femmes enceintes, notamment celles qui sont maltraitées pendant leur grossesse, sont les plus exposées au risque de féminicide commis par leur partenaire intime, d’après l'OMS.
Les femmes ne sont pas protégées contre le féminicide du fait de leur appartenance ethnique, de leur âge ou de leur statut social, selon Karen Ingala Smith, militante contre la violence domestique. Cependant, l’OMS estime qu’au niveau sociétal et structurel, le féminicide est plus fréquent dans les pays où l'inégalité de genre est plus marquée et où les femmes sont moins représentées au sein du gouvernement. La réduction des investissements publics dans la santé et l'éducation est également un facteur à prendre en compte.
Depuis l'invention du terme par Mme Russell dans les années 70, l'augmentation des féminicides a déclenché des manifestations dans le monde entier.
En 2019, le viol et le meurtre d'Uyinene Mrwetyana, une étudiante sud-africaine de 19 ans, a choqué l'opinion publique et conduit le président Cyril Ramaphosa à signer une déclaration sur la violence fondée sur le genre.
South African women take part in a protest against gender based violence in Pretoria, South Africa, Friday, Sep. 27, 2019.
South African women take part in a protest against gender based violence in Pretoria, South Africa, Friday, Sep. 27, 2019.
Le meurtre de Pinar Gültekin, une femme de 27 ans portée disparue et retrouvée morte le 21 juillet dernier à Mugla, en Turquie, a également influencé une campagne internationale sur les réseaux sociaux. Un mois plus tard, le meurtre de Vanessa Guillén, âgée de 20 ans, spécialiste de l'armée mexicano-américaine, et assassinée par son compatriote Aaron Robinson à Fort Hood, au Texas, a ravivé le mouvement #MeToo au sein de l'armée. L'attention des médias et le tumulte entourant les cas de féminicides très médiatisés ne sont néanmoins pas souvent synonymes de changement durable. En Afrique du Sud, la Déclaration sur la violence fondée sur le genre s'est avérée inefficace et des centaines de femmes ont été assassinées pendant la pandémie de COVID-19.
Si 18 pays d'Amérique latine ont adopté des lois limitant la violence contre les femmes, ils n'ont pas pour autant réussi à réduire le nombre de féminicides. L'inaction des gouvernements et l'impunité des auteurs de ces crimes sont attribuées aux taux élevés de féminicides dans plusieurs pays d'Amérique latine, où 98 % de ces meurtres ne font pas l'objet de poursuites. Au Mexique, les activistes des droits des femmes et les familles des victimes de féminicides tentent sans relâche d'obtenir justice depuis la multiplication des disparitions et des meurtres de jeunes femmes dans les usines de Juárez dans les années 1990. Le gouvernement préfère toutefois minimiser l'importance de ce problème.
Aux États-Unis, le nombre de femmes tuées n'a cessé d'augmenter depuis 2014, avec 1 948 femmes tuées par des hommes en 2017, selon le Violence Policy Center. Les femmes noires et les femmes latinas transgenres sont particulièrement exposées au risque de féminicide en 2020.
Selon l'OMS, la réduction de la violence entre partenaires intimes est le moyen le plus efficace de prévenir les féminicides, ce qui nécessite de s'attaquer aux inégalités de genre au niveau individuel et sociétal.
Pour comprendre le phénomène, il est essentiel de collecter davantage de données sur les féminicides. Des données spécifiques au genre, incluant les liens existants entre la victime et les auteurs, ainsi que le renforcement des méthodes de recherche pour comprendre les contextes sociaux dans lesquels le féminicide se produit, sont deux éléments essentiels à la protection des femmes contre de futurs actes de violence.
Le personnel de santé et les forces de l'ordre ont également un rôle à jouer : ils doivent être formés pour mieux identifier la violence exercée par le partenaire intime et savoir si une femme est exposée à un éventuel féminicide, en particulier pendant la grossesse.
Indians shout slogans and hold placards during a protest condemning the alleged gang rape and killing of a Dalit woman, in New Delhi, India, Oct. 4, 2020.
Indians shout slogans and hold placards during a protest condemning the alleged gang rape and killing of a Dalit woman, in New Delhi, India, Oct. 4, 2020.
La législation limitant l'accès aux armes à feu pour les auteurs de violence entre partenaires intimes, le renforcement des forces de l'ordre et l'arrestation obligatoire en cas de violation d'une ordonnance de restriction liée à la violence entre partenaires intimes sont tous considérés comme des mesures de protection contre le féminicide par l'OMS.
La modification des lois en vue d'interdire les crimes d'honneur et de punir les auteurs est une autre étape importante pour mettre fin aux féminicides. Une meilleure sensibilisation aux crimes d'honneur et une meilleure prise en compte de ces crimes dans les pays et les communautés de migrants où les crimes d'honneur sont courants sont essentielles.
Les activistes demandent à la communauté internationale d'intensifier les efforts visant à réduire la violence sexiste en adoptant une approche sensible au genre dans le cadre des plans de relance et d'aide face à la COVID-19. Le Comité international de secours estime que le financement des services sanitaires et sociaux destinés aux femmes et aux jeunes filles est particulièrement crucial pour prévenir les féminicides pendant la pandémie.