Pourquoi les Global Citizens doivent s'en préoccuper
La violence sexiste menace le bien-être des femmes et des filles dans le monde entier. Nous devons assurer leur sécurité en éliminant la violence sexiste sous ses nombreuses facettes. La prévention de la violence sexiste améliore la santé des femmes et des enfants, la productivité économique et les perspectives d'éducation. Vous pouvez vous joindre à nous et passer à l'action sur cet enjeu ici

Note de la rédaction : Ce récit contient des éléments détaillés à caractère violent.

Au cours des dernières semaines, des manifestations dans toute la Turquie et une campagne menée sur les réseaux sociaux ont mis en évidence la montée des féminicides — le meurtre d'une femme en raison de son genre — et de la violence domestique qui sévit à travers le pays.

Pınar Gültekin, une jeune femme turque âgée de 27 ans, fut portée disparue et retrouvée morte le 21 juillet dans la ville de Mugla. Mme Mme Gültekin aurait rejeté les avances de son petit ami Cemal Metin Avcis, qui l'aurait ensuite étranglée à mort, brûlé son corps dans un baril de pétrole et tenté de le cacher dans les bois. Ce meurtre est le 50ème assassinat féminin enregistré en Turquie en 2020 et a suscité l'indignation du pays entier. Les défenseurs des droits des femmes et leurs alliés demandent instamment au gouvernement turc de prendre des mesures pour prévenir ces actes.

Selon une étude de 2009, 42 % des femmes turques âgées de 15 à 60 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur mari ou de leur partenaire. En 2019, 474 d'entre elles ont été assassinées, la plupart par leur partenaire et leurs proches.

Comme l'explique Suad Abu-Dayyeh, experte chargée du Moyen Orient et de l'Afrique du Nord à Equality Now's Middle East, dans un email adressé à Global Citizen, la violence liée au genre risque d'augmenter en 2020. La violence domestique et les féminicides ont d'ailleurs déjà atteint des proportions alarmantes en raison des mesures de confinement destinées à stopper la propagation de la pandémie de COVID-19.

La police a violemment réprimé les manifestants qui demandaient à ce que justice soit faite pour Pınar Gültekin et pour d'autres femmes assassinées, et le gouvernement ne s'est guère engagé à les protéger. Les manifestants ont notamment exhorté le gouvernement à respecter la Convention d'Istanbul ; cet accord, introduit en 2011, est le premier texte international contraignant visant à prévenir la violence sexiste, mais n’est que très peu appliqué par les pays signataires. 

Les femmes se sont également tournées vers les réseaux sociaux pour sensibiliser à la violence sexiste croissante en Turquie. Elles ont relancé la campagne « Challenge Accepted » au moyen des hashtags #kadınaşiddetehayır et #istanbulsözleşmesiyaşatır, qui peuvent être traduits comme suit : « Dites non à la violence contre les femmes » (kadına şiddete hayır) et « Faites respecter la Convention d'Istanbul » (Istanbul sözleşmesi yaşatır). 

Créée à l'origine en 2016, cette campagne avait pour but de sensibiliser le public au cancer, et a depuis été déclinée en de multiples versions. Les femmes turques se sont inspirées de ce concept en postant des photos d'elles-mêmes en noir et blanc pour souligner qu'elles pourraient être les prochaines à faire la une des journaux à titre de victimes d'un féminicide. Des femmes du monde entier se sont jointes à cette initiative en utilisant le hashtag comme un symbole de l'autonomisation des femmes dans le monde entier, mais certaines ont fait l'objet de critiques pour avoir étouffé les voix des femmes turques. La campagne continue d'attirer l'attention du monde entier sur la question du féminicide en Turquie.

Global Citizen s'est entretenu par e-mail avec Nihan Damarli, une bénévole de la Foundation for Women's Solidarity, une organisation basée en Turquie. Nous avons échangé au sujet des récentes manifestations, des vagues de fémicides et de la campagne « Challenge Accepted ». Découvrez l'intégralité de cette interview ci-dessous.

Global Citizen : Le meurtre de Pınar Gültekin a déclenché des manifestations dans toute la Turquie, mais ces manifestations ont été violemment réprimées par la police. En quoi cela reflète-t-il le traitement général des femmes qui dénoncent la violence sexiste en Turquie ? 

Nihan Damarli : Le gouvernement turc a durci ses politiques d'oppression et d'interdiction, surtout ces dernières années, et tient à empêcher les groupes d'opposition de se rassembler et surtout d'être vus dans la rue. Son but est de faire taire les voix dissidentes de toutes les couches de la société ; il vise donc le mouvement des femmes, qui est le plus puissant mouvement de défense des droits en Turquie. 

Des actions telles que la fermeture de certaines organisations de femmes par des décrets statutaires, la fermeture de centres et de foyers pour femmes, l'interdiction des manifestations [organisées à l'occasion] de la Journée internationale de la femme à Istanbul et le gazage des manifestants n'en sont que quelques exemples. Dans ce cas, nous avons constaté qu'au lieu d'arrêter les auteurs de ces actes et de protéger les femmes qui ont subi des violences, la police a pris des mesures pour arrêter les femmes qui manifestaient contre les féminicides. 

Dans l'ensemble, il y a un manque de collaboration du gouvernement avec les organisations indépendantes de femmes en matière de politique. Ce manque de volonté politique s'est traduit, surtout ces dernières années, par des mesures systématiques contre l'égalité de genre. La répression des manifestations contre l'assassinat de Pınar Gültekin ne contredit pas cette tendance générale.

Pourquoi le féminicide est-il en hausse en Turquie ?

Malheureusement, chaque année, de plus en plus de femmes sont assassinées par leur partenaire ou par des membres de leur famille. Nous n'avons pas les chiffres exacts, car le ministère de la justice, le ministère de l'intérieur et le ministère de la famille, du travail et des services sociaux ne tiennent pas et/ou ne partagent pas ces statistiques.

D'une part, alors que les femmes sont de plus en plus attentives et veulent prendre le contrôle de leur vie, les lois visant à les protéger et à prévenir la violence ne sont pas appliquées efficacement. On constate que de nombreuses femmes assassinées ont été tuées alors qu'elles cherchaient concrètement à s'éloigner d'hommes violents. Dans les cas de violence, l'impunité encourage les auteurs.

Le gouvernement ne fait pas preuve d'une approche intégrée et d'une volonté politique en ce qui concerne la mise en œuvre des politiques de lutte contre la violence liée au genre. Au lieu de cela, les dirigeants politiques légitiment presque la discrimination et la violence liées au genre par leurs discours discriminatoires et sexistes. Je pense que tous ces facteurs empêchent non seulement la transformation des mentalités vers l'égalité de genre, mais qu'ils augmentent également la violence fondée sur le genre. 

Les hashtags #Kadınaşiddetehayır et #Istanbulsözleşmesiyaşatır sont devenus très populaires et ont rapidement pris de l'ampleur grâce aux femmes du monde entier qui ont participé à la campagne « Challenge Accepted ». Certaines ont déploré le manque de lien avec la violence subie par les femmes en Turquie lorsque la campagne a gagné en popularité. Que pensez-vous de cette campagne comme moyen d'attirer l'attention sur la violence sexiste en Turquie ?

Les réseaux sociaux sont un média dont le contenu et l'agenda changent très rapidement. La campagne s'est répandue à une vitesse fulgurante et a même dépassé les frontières de la Turquie. Je pense qu'il est parfois inévitable de perdre un peu de sens quand on se démarque parmi les nombreux contenus présents sur les réseaux sociaux. De nombreux textes explicatifs étaient également en circulation pour rappeler le contexte de la campagne.

Je pense que l'objectif de la campagne et la raison de partager des photos en noir et blanc sont en fait très frappants, et qu'ils reflètent directement l'état émotionnel des femmes en Turquie. En raison de la violence croissante, celles-ci vivent aujourd'hui avec la possibilité d'être exposées à la violence sexiste et, de plus, d'être tuées. Cependant, les femmes n'acceptent plus cette réalité comme leur destin immuable et essaient de se faire entendre dans tous les milieux où elles peuvent s'exprimer en ces temps de répression.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan s'est exprimé sur Twitter à propos du meurtre de Pınar, mais n'a pas fait grand-chose pour mettre en œuvre la Convention d'Istanbul, même si la Turquie a été la première à la ratifier. Comment souhaiteriez-vous que lui et le gouvernement prennent position contre la violence sexiste dans le pays ?

Même si les organisations, réseaux et plateformes de défense des femmes et des personnes LGBTI+ ont été très efficaces dans le passé pour faire avancer les droits des femmes, le gouvernement n'est aujourd'hui pas favorable à la collaboration et au dialogue avec de telles organisations indépendantes. Ce que nous, en tant qu'organisations de défense des femmes et des personnes LGBTI+ actives dans le domaine de la lutte contre la violence sexiste, attendons des dirigeants politiques, ce ne sont pas des tweets sur les réseaux sociaux une fois qu'une femme est assassinée, mais une réelle volonté politique de mettre en œuvre efficacement des politiques de protection et de prévention. Les rapports des ONG parallèles à la plateforme de suivi de la Convention d'Istanbul (composée d'organisations de femmes et d'organisations LGBTI+) et le rapport d'évaluation national GREVIO montrent exactement ce qui devrait être fait, étape par étape. Cependant, alors que nos efforts de plaidoyer portent sur la mise en œuvre effective de la Convention d'Istanbul, le gouvernement envisage de s'en retirer. Nous voulons que le gouvernement entende la voix des femmes et prenne en compte les paroles des femmes et des organisations LGBTI+ lorsqu'il prend des décisions concernant la vie des femmes.

Cet entretien a été révisé et condensé par souci de longueur et de clarté.

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