Au cours des dernières années, une certaine prise de conscience mondiale des inégalités dont souffrent les populations autochtones s’est manifestée. De nombreux mouvements dénoncent aujourd’hui les rapports de pouvoir asymétriques qui désavantagent ces communautés partout à travers le globe.
Si certains pays tels que le Canada, les États-Unis ou encore le Brésil sont fréquemment épinglés pour le traitement qu’ils réservent aux peuples autochtones, la France, a, elle aussi été récemment remise en cause au niveau international.
Les inégalités auxquelles sont confrontés les peuples autochtones vivant en Guyane, un département français d’outre-mer situé dans les Caraïbes, sont notamment citées. Les quelques 10 000 Autochtones, répartis dans sept communautés différentes, sont en effet confrontés à des défis sociaux et économiques importants qui entravent l’accès à l’égalité.
Voici quatre de ces enjeux qui frappent ces populations aujourd’hui.
1. Des défis majeurs en matière de santé mentale
Le suicide affecte les Autochtones de Guyane de façon disproportionnée et touche particulièrement les jeunes et les personnes vivant dans des zones rurales, où près de 70 % des cas sont recensés.
En 2019, la ministre des Outre-mer de l’époque, Annick Girardin, estimait notamment que les suicides des personnes autochtones dans les communes reculées guyanaises étaient 25 fois plus nombreux que dans l'Hexagone. Le taux de suicide en Guyane est également parmi les plus élevés au monde, selon le média NPR.
Différents facteurs, tels qu’un mal-être ancré chez les jeunes et un sentiment de désespoir face à la précarité, sont cités par le gouvernement français comme des explications à cet enjeu de santé publique qui s’est aggravé au cours des dernières années.
La France est loin le seul pays où les populations autochtones sont psychologiquement vulnérables, comme l’explique Isabelle Hidair-Krivsky, la directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité, anthropologue sociale et ethnologue à l’université de Guyane.
« En Guyane, comme au Canada, au Brésil, en Australie, les taux de suicide chez les Premières Nations sont toujours plus élevés que celui observé au sein de la population non autochtone, a-t-elle affirmé dans un e-mail adressé à Global Citizen. Ces populations ont en commun le colonialisme, de la discrimination, de la perturbation des modes de vie, la faible transmission des cultures et des langues ».
En Guyane, des études montrent que la consommation d’alcool, que les jeunes perçoivent comme une échappatoire à des inégalités socioéconomiques prononcées, semble aggraver le problème.
En 2015, deux parlementaires françaises ont établi un plan d’action afin de remédier à ce problème alarmant. Articulé en 37 propositions, le projet prévoyait notamment de « renforcer le dispositif de prise en charge psychiatrique », d’établir un « programme de santé communautaire » et de « développer des politiques vigoureuses de lutte contre les addictions ».
Des détracteurs de l’opposition ont déploré un manque d’application de ces mesures ambitieuses quatre ans plus tard.
Mme Hidair-Krivsky nuance toutefois le propos : le plan est « une bonne stratégie », selon elle, mais il doit être accompagné d’une prise de conscience autour de la médiatisation du suicide et de ses effets potentiellement néfastes sur le reste de la population, qui pourrait y voir une certaine incitation à passer à l’acte.
« Aujourd’hui, nous savons que les traitements médiatiques du suicide peuvent provoquer des effets de contagion, a-t-elle rappelé. Il faut donc se méfier des généralisations et éviter [d’employer] des expressions comme “épidémie de suicides” ou … d’en faire les titres en première page d’un journal. ll faut donner la liste de tous les services de santé et d’assistance, mentionner tous les symptômes d’alerte et révéler tout problème de santé mentale dont la personne aurait souffert. »
2. Un taux de pauvreté accru
C’est un fait : la Guyane ne bénéficie pas des mêmes conditions socio-économiques que l’Hexagone.
Une récente étude de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) en Guyane a récemment révélé que la moitié des Guyanais vivait sous le seuil de pauvreté national, avec moins de 550€ disponibles par mois.
Bien que ces disparités touchent l’ensemble des habitants du territoire, leurs retombées touchent de plein fouet les communautés autochtones, où des facteurs tels que la répartition inégale des richesses, l’absence d’emploi ou de diplôme contribuent à aggraver cette situation de précarité. Les prestations sociales, qui constituent une part importante des revenus des ménages guyanais, selon l’INSEE, atténuent ces conditions mais peinent à véritablement rééquilibrer la balance vis-à-vis de la métropole.
De plus, la COVID-19 semble exacerber ces inégalités.
Plusieurs organisations, dont la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), oeuvrent actuellement à les atténuer en pilotant plusieures initiatives visant à promouvoir des moyens de subsistance durables et un accès facilité aux services financiers.
3. Destruction et manque d’accès aux ressources naturelles et environnementales
La France n’a pas ratifié la Convention « relative aux peuples indigènes et tribaux » de l’Organisation internationale du travail (OIT), ce qui contribue à limiter l’accès des populations autochtones aux terres et entrave leur capacité de subvenir à leurs besoins alimentaires en les empêchant notamment d’exercer certaines des activités chères à leurs ancêtres, notamment là pêche, la chasse, la cueillette et l’agriculture traditionnelle, selon Media Terre.
À ces difficultés s’ajoutent les effets pervers de l’orpaillage (l’extraction de l’or, N.D.L.R.) illégal, que la Commission consultative nationale des droits de l’homme (CNCDH) a amplement documenté dans un récent rapport.
Plusieurs projets miniers, dont ceux portés par des multinationales étrangères, ont été dénoncés par les populations autochtones pour leurs dégâts environnementaux et leurs effets néfastes sur la biodiversité. L’un d’entre eux, celui de la Montagne d’or, prévoyait notamment le déboisement de milliers d’hectares sur en Guyane française, mais a finalement été abandonné après une campagne de deux ans menée par le World Wildlife Fund (WWF).
4. Une reconnaissance contestée
Dans sa constitution, la France se définit comme une république indivisible où le peuple français n’est qu’un.
À cet égard, il n’y pas de différenciation possible du peuple français selon ses diverses identités ; un principe, qui, selon la CNCDH, entrave d’emblée la reconnaissance formelle des peuples autochtones.
« Confondre égalité et uniformité et en appeler à l’universalité pour refuser la diversité serait aller à l’encontre même des principes d’égalité et de non-discrimination, peut-on lire dans le rapport de la CNCDH. L’universalité des droits passe inévitablement par la reconnaissance des identités multiples et des singularités territoriales. Sans cette double reconnaissance, il n’y a ni égalité réelle, ni respect des peuples, des langues et des cultures. »
Aujourd’hui, les peuples autochtones en Guyane demandent un respect de leurs droits et exhortent la France à ratifier la Convention de l’OIT afin de que leur statut soit reconnu.
À ce sujet, Mme Hidair-Krivsky apporte une vision nuancée.
« La plupart des regards portés sur les Autochtones de Guyane ignorent que les contacts ont toujours eu lieu et qu’ils continueront parce qu’ils sont constitutifs de l’identité des peuples qui se construisent et se renforcent par échanges, a-t-elle affirmé. L’objectif aujourd’hui est de reconnaître les erreurs commises, de transmettre les outils efficaces afin de passer le relais à ces générations qui ont, pour mission première, celle de remplacer leurs aînés. Faisons confiance à ces jeunes et donnons-leur le pouvoir de créer leur propre avenir par eux-mêmes.»