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La prise de conscience et l’inquiétude grandissantes face à la crise de la pollution plastique ont donné lieu à de nombreuses initiatives : campagnes de sensibilisation, mouvements mondiaux, interdictions ou retraits progressifs (des bouteilles, sacs et pailles), ainsi que l’apparition de nouveaux produits comme les shampoings solides. Tous cherchent à répondre à une même question : que devient le plastique une fois jeté ?

Mais qu’en est-il de ses effets avant qu’il ne soit éliminé ?

« Le plastique affecte la santé humaine à chaque étape de son cycle de vie », explique Melissa Valliant, directrice de la communication chez Beyond Plastics. « On parle surtout de la pollution après usage… Mais la production a aussi un fort impact sur la santé, notamment dans les communautés à faibles revenus et les communautés racisées, bien plus exposées que le reste de la population. Cela s’explique par le fait que les usines de production de plastique sont souvent implantées dans ces zones de justice environnementale, en toute connaissance de cause, car les entreprises savent que ces communautés disposent de moins de ressources et de moins de pouvoir pour se défendre. »

Valliant explique que le plastique, principalement fabriqué à partir de sources fossiles comme le pétrole brut et le gaz naturel transformés en polymères, suit quatre grandes étapes dans son cycle de vie : l’extraction et le transport, le raffinage et la fabrication, l’usage sous forme de produits et d’emballages, puis la gestion des déchets, la phase que la plupart d’entre nous perçoivent le plus directement.

Le problème commence dès le départ, avec l’extraction, puisque 99 % du plastique provient des combustibles fossiles. « C’est pour cela que la crise climatique et la crise du plastique sont étroitement liées, au point de ne faire qu’une seule et même crise », souligne-t-elle. Lors de l’extraction du pétrole et du gaz, un véritable cocktail de substances toxiques est libéré dans l’air et dans l’eau, notamment quelque 170 produits chimiques issus de la fracturation hydraulique (pour le gaz naturel), qui sont associés à de graves problèmes de santé humaine, allant du cancer à l’infertilité.

Mais la menace continue : les plastiques contiennent non seulement ce polymère issu des énergies fossiles, mais aussi des milliers de substances chimiques ajoutées pour la couleur, la souplesse ou l’inflammabilité, beaucoup étant hautement toxiques, d’après un rapport de 2023 de la Minderoo-Monaco Commission on Plastics and Human Health. Selon une étude récente publiée en mars 2024 dans le New England Journal of Medicine, ces substances chimiques et la « croissance explosive » de l’industrie pétrochimique seraient reliées à l’augmentation alarmante de troubles neuro-développementaux, de dérèglements hormonaux, de diabète, de maladies respiratoires chroniques et de certains cancers chez les jeunes.

Voici cinq exemples de communautés qui subissent au moins une des conséquences du cycle de vie du plastique.

Delta du Niger, Nigeria
Étape du cycle de vie : extraction

Vue sur la prod. pétrolière dans le delta du Niger, gaz torché à Nembe Creek, ven. 6 oct. 2017.
Image: Sara Leigh Lewis / ©Wikimedia Commons

Le Delta du Niger, une zone de plus de 70 000 km² réunissant neuf États côtiers au sud du Nigeria, est le premier producteur de pétrole d’Afrique et, selon Amnesty International, « l’un des endroits les plus pollués de la planète ». En cause : répétition des marées noires (plus de 55 ces douze dernières années) à cause d’infrastructures mal entretenues, de fuites chez les producteurs, de vols ou de vandalismes, et d’un manque de nettoyage par les compagnies responsables (Shell, ExxonMobil…). Résultat : destruction, maladies et décès, y compris chez les nourrissons qui, selon une étude, ont deux fois plus de risques de décéder lors de leur premier mois de vie si leur mère vit près d’une marée noire.



Les fuites ont aussi contaminé les nappes phréatiques avec des substances chimiques et des métaux lourds. Selon une étude, cela entraîne de l’anémie, des insuffisances rénales, des troubles neurologiques, des cancers du foie, des maladies cardiovasculaires et d’autres pathologies. D’autres recherches menées dans l’État de Bayelsa révèlent des taux de substances toxiques extrêmement élevés, non seulement dans le sol, l’eau et l’air, mais aussi dans les cultures et animaux consommés localement, ainsi que des concentrations alarmantes de plomb, de nickel et de cadmium dans le sang et les tissus de 1 600 habitant·e·s de l’État.

Des activistes luttent via des organisations comme l’ONG Environmental Rights Action, qui vise à demander des comptes aux entreprises, et au travers de milliers de plaintes, dont celles de plus de 11 000 habitant·e·s des zones rurales d’Ogale en 2023.

« Pendant qu’on parle, le pétrole coule toujours dans ma communauté chaque jour, des personnes meurent », a confié King Emere Godwin Bebe Okpabi, chef de la communauté d’Ogale, à Intercept. Un autre responsable local a déclaré à Al Jazeera durant une série de manifestations en 2021 à Lagos : « Nous voulons que le monde entende notre cri, car nous sommes au bord de l’extinction. »

East Palestine, Ohio
Étape du cycle de vie : transport

Vu par drone : après le déraillement d’un train à East Palestine, Ohio, le 3 fév. 2023, plusieurs wagons brûlent encore le lendemain.
Image: AP Photo/Gene J. Puskar

Il y a un peu plus d’un an, en février 2023, une autre étape dangereuse de la production plastique a provoqué la mobilisation : le déraillement d’un train de marchandises Northern Suffolk, transportant un large éventail de produits chimiques toxiques, comme l’isobutylène et le chlorure de polyvinyle (PVC), tous deux utilisés pour fabriquer des plastiques. Les autorités ont volontairement vidé puis brûlé le PVC pour éviter une explosion. Mais pour les habitant·e·s d’East Palestine et toutes celles situées le long de l’Ohio River et plus au nord, cela a été catastrophique.

Un an après, de nombreux résidents souffrent encore d’éruptions cutanées, de maux de tête ou de troubles respiratoires. Un collectif local d’activistes, dont la Black Appalachian Coalition, l’organisatrice Jami Wallace et Jess Conrad — récemment devenue directrice pour l’Appalachie chez Beyond Plastics — cherche à exiger des comptes à Northern Suffolk.

Dix ans plus tôt, en 2013, un autre accident de train très médiatisé — aujourd’hui traité dans un documentaire — a eu lieu à Lac-Mégantic, au Québec. Ce qui fut l’un des pires drames ferroviaires du pays : 5,7 millions de litres de pétrole brut ont pris feu, tuant 47 personnes.

« Les trains transportaient autrefois la vie », a déclaré récemment Robert Bellefleur, habitant de Lac-Mégantic, à la CBC. « Aujourd’hui, ce qu’on a sur les rails, ce sont des bombes. »

Un rapport récent de Toxic-Free Future a pour la première fois, cartographié les itinéraires des trains transportant du PVC, du Texas au New Jersey, en identifiant des centaines de villes situées le long de 3 185 kilomètres de voies ferrées susceptibles d’être exposées en cas de futur déraillement. Comme le rappelle Valliant à propos d’East Palestine : « Ce n’était pas le premier, et ce ne sera pas le dernier. »

La « Cancer Alley » de Louisiane
Phase du cycle de vie : Raffinerie

Des fûts de pétrole endommagés près de la raffinerie Exxon, zone de Culp Creek, Oregon. EPA, Archives nationales, déc. 1972.
Image: John Messina/ ©Wikimedia Commons.

« Cancer Alley », le sinistre surnom donné à ce couloir industriel de 135 kilomètres qui longe le Mississippi entre Baton Rouge et La Nouvelle-Orléans, porte malheureusement bien son nom. Ces quartiers, qui abritent quelque 200 usines de combustibles fossiles et de pétrochimie, la plus forte concentration de ce type d’installations dans l’hémisphère occidental, enregistrent des taux de cancer bien supérieurs à la moyenne nationale (jusqu’à sept fois plus élevés dans certaines zones). On y compte aussi de nombreux enfants souffrant d’asthme chronique ou d’irritations cutanées, et des grossesses plus souvent à haut risque.

Certains surnomment même la région « le couloir de la mort », à l’image de Sharon Lavigne, habitante et militante de Saint James Parish, qui confiait récemment à Human Rights Watch : « Nous mourons à force de respirer la pollution des industries. J’ai l’impression de vivre une condamnation à mort. Comme si on nous incinérait, sans nous brûler. »

C’est aussi un exemple frappant de racisme environnemental : les communautés touchées sont majoritairement noires, racisées et issues de milieux modestes, comme à Port Arthur, Texas, où se trouve la troisième plus grande raffinerie du pays et où les taux de cancer sont également élevés.

Kimberly Terrell, chercheuse à la faculté de droit de l’Université Tulane, qui étudie les effets de la pollution de l’air dans la région, a montré que les risques pour la santé dépassent largement le cancer. Ses travaux, publiés dans la revue Environmental Research: Health, ont mis en évidence des taux très élevés de naissances prématurées, de faible poids à la naissance et de mortalité infantile et maternelle, parmi les plus élevés du pays, en particulier chez les femmes noires et leurs nourrissons. D’autres problèmes de santé y sont répandus : fausses couches, asthme chronique, sinusites, bronchites, toux et irritations cutanées.

En 2022, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a ouvert une enquête pour répondre aux accusations de racisme environnemental, avant de la clore brusquement en juin 2023, peu avant qu’un tribunal fédéral ne suspende temporairement l’utilisation d’un des principaux outils juridiques de l’agence pour dénoncer la discrimination raciale.

« Cette décision fait reculer de plusieurs décennies les efforts des communautés noires pour vivre dans un environnement sain », a déclaré Monique Harden, directrice du département juridique et des politiques publiques du Deep South Center for Environmental Justice, à Bloomberg.

La « Chemical Alley » de l’Ontario
Phase du cycle de vie : Raffinerie

Industrie pétrochimique de la “Chemical Valley” de Sarnia, Ontario, Canada, 7 août 2012.
Image: P199/ ©Wikimedia Commons.

uarante pour cent de l’industrie pétrochimique du Canada, soit plus de 60 usines chimiques et raffineries de pétrole, sont concentrés dans une zone de 39 kilomètres carrés à Sarnia, en Ontario, surnommée la « Vallée chimique ».

Cette région abrite aussi la réserve de la Première Nation Aamjiwnaang, dont la population, selon un rapport de 2023 du gouvernement de l’Ontario dans le cadre du Sarnia Area Environmental Health Project, figure parmi les plus touchées par la pollution de l’air. Celle-ci contient des niveaux élevés de produits chimiques toxiques, notamment du benzène (utilisé dans la production de polystyrène), susceptible de provoquer la leucémie et d’autres cancers, et du dioxyde de soufre (issu des torchères des raffineries), associé à des troubles respiratoires comme l’asthme. Plus de trente autres produits chimiques utilisés dans les industries locales ont été identifiés comme présentant des risques potentiels.

De nouvelles recherches ont par ailleurs montré que les enfants nés à Sarnia présentent des taux d’asthme plus élevés que ceux des villes voisines. Une étude plus ancienne avait déjà révélé une forte exposition à des substances bloquant les hormones, tandis que les habitant·e·s signalent depuis longtemps des taux accrus de fausses couches, de maux de tête chroniques et d’asthme.

Le rapport du Health Project, qui a confirmé les craintes de longue date quant aux conséquences de vivre à proximité d’un aussi grand nombre de raffineries, décrit cette zone comme un cas de racisme environnemental et appelle à l’adoption de nouvelles réglementations.

« Nous avons des problèmes respiratoires et des taux élevés de cancer », explique Beze Gray, militant de la Première Nation Aamjiwnaang et l’un des sept jeunes qui poursuivent le gouvernement de l’Ontario pour sa politique climatique, dans une interview accordée à The Resolve. Gray demande davantage d’études sur les effets de la pollution sur la santé des habitant·e·s, y compris sur la santé mentale.

«[Les raffineries] fonctionnent 365 jours par an, elles ne s’arrêtent pas comme on pourrait le penser. Elles tournent en continu. Dans nos communautés, le bruit est constant et parfois insupportable, surtout lors des grandes torchères. Les fenêtres de certaines maisons tremblent, et les gens ne dorment plus la nuit à cause de la proximité de ces installations. »

Quweisna, Égypte
Phase du cycle de vie : Fabrication

L’Égypte fait partie des principaux producteurs mondiaux de déchets plastiques, mais c’est aussi l’un des plus grands fabricants de plastique, une industrie qui devrait croître de 10 % par an sur la prochaine décennie. Ce pays s’apprête ainsi à devenir le premier producteur et consommateur d’articles et de matières plastiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Ce sont les ouvrier·ère·s qui payent le prix fort face aux effets néfastes de la fabrication du plastique, en particulier dans la zone industrielle de Quweisna, à 60 kilomètres du Caire. Selon une étude, l’exposition des travailleurs à des substances toxiques, notamment des doses élevées de PVC (cause de la catastrophe d’East Palestine) et de styrène, a eu des effets dommageables sur le foie et le système hématopoïétique, en plus d’augmenter les enzymes hépatiques tout en provoquant des anémies et des baisses de plaquettes.

Une étude antérieure portant sur les ouvriers d’une usine de plastique avait déjà trouvé des taux élevés de styrène dans le sang, ainsi que de la microglobuline dans les urines (pouvant indiquer des cancers du sang, type leucémie ou lymphome) et des anomalies chromosomiques.

« Les maladies induites sont souvent diagnostiquées des années après l’exposition », souligne l’Organisation internationale du travail dans un rapport sur les risques chimiques pour les travailleur·euse·s du plastique. « Les impacts sur la santé vont des troubles neurologiques et reproductifs jusqu’aux cancers (comme la leucémie) et aux conséquences génétiques, tels qu’un faible poids à la naissance. »

Comment aider ?

Toutes ces histoires, et bien d’autres témoignages similaires à travers le monde, montrent pourquoi nous avons besoin d’un traité mondial sur les plastiques fort et ambitieux.

Ce traité a été proposé par le Pérou et le Rwanda, avec le soutien de 27 pays et de plus de 750 groupes de la société civile. Son objectif est d'adresser l’ensemble du cycle de vie du plastique, depuis l’extraction des combustibles fossiles utilisés pour sa fabrication, jusqu’à son utilisation, puis son élimination.

Bientôt, du 23 au 29 avril, des représentants de 173 pays vont se retrouver à Ottawa, au Canada, pour la quatrième session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-4) afin de négocier ce traité juridiquement contraignant. Agissez dès maintenant avec Global Citizen et partagez pourquoi, selon vous, un traité mondial solide sur les plastiques est indispensable.

« Les entreprises continuent à défendre l’utilisation du plastique parce qu’elles disent que c’est un matériau peu coûteux. Le plastique n’est pas bon marché, » affirme Valliant. « Demandez à celles et ceux qui vivent à proximité des sites de production de plastique dans la “Cancer Alley” en Louisiane ou à Port Arthur, au Texas, s’ils trouvent le plastique bon marché… Le plastique n’est bon marché que pour les fabricants ; les habitant·e·s, notamment dans les communautés soumises à des injustices environnementales, en paient un prix très élevé. »

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« Zones de sacrifice » : la production de plastique décime ces cinq communautés à travers le monde

Par Beth Greenfield