Pendant des milliers d’années, le milieu naturel a permis aux sociétés humaines de prospérer en leur fournissant de la nourriture, de l’eau et des matériaux pour se loger et se soigner. Toutefois, les environnements qui alimentent ces ressources, les plans d’eau, les paysages fertiles et les forêts tropicales, s’épuisent à un rythme de plus en plus rapide.

Les écosystèmes de la planète ne peuvent supporter qu’une quantité limitée d’extraction annuelle ; au-delà de ces limites, ils ne peuvent plus se reconstituer et revenir à leur niveau normal. Cette année, les pays ont dépassé la limite planétaire le 29 juillet, ce qui signifie que les cinq prochains mois d’extraction des ressources naturelles auront lieu dans des environnements où leurs capacités sont déjà épuisées.

Parce que cela se produit année après année, les rivières autrefois puissantes s’amenuisent pour devenir de minces filets d’eau, les prairies riches en sol se transforment en désert et les fragiles écosystèmes, qui animent les forêts, disparaissent progressivement.

Le déclin mondial de la biodiversité et le changement climatique sont les deux faces d’une même pièce. Ils sont, tous deux, causés par les systèmes économiques qui exploitent les ressources de l’humanité. Ils se renforcent mutuellement et exigent le même sens de l'urgence de la part des dirigeants mondiaux.

Pourtant, la crise du climat semble attirer beaucoup plus l’attention, même si celle-ci ne se traduit pas par des mesures politiques concrètes. C’est la raison pour laquelle les pays exhortent résolument à la protection de 30 % des environnements terrestres et marins d’ici 2030. Les Nations unies ont, en effet, désigné les dix prochaines années comme « la Décennie pour restauration » afin de mettre un terme à la dégradation des écosystèmes.

L’objectif 30x30 est particulièrement urgent car il est plus facile de protéger un environnement de la destruction que de régénérer un environnement qui a déjà été dégradé.

Ceci étant, l’objectif 30x30 est-il vraiment possible ? Que faudra-t-il pour l’atteindre ? En outre, que risquons-nous si nous manquons à notre devoir ?

3 choses à savoir sur l’objectif 30x30

  • Selon les Nations unies, l’on estime que 16,44 % des terres dans le monde sont actuellement protégées ainsi que 7,74 % de l’océan.
  • Près des trois quarts de tous les environnements terrestres et les deux tiers de l’océan ont été fortement dégradés par les activités humaines, selon Nature America.
  • Les scientifiques se sont accordés sur l 'objectif de conservation de 30 % car c’est un niveau qui donne à la planète une chance de se rétablir et pourrait protéger des millions d’espèces de l’extinction.

Comment est né l’objectif 30x30 ?

A burned area of the Amazon rainforest is seen in Prainha, Para state, Brazil in November 2019.
A burned area of the Amazon rainforest is seen in Prainha, Para state, Brazil in November 2019.
Image: Leo Correa/AP

Les signes avant-coureurs environnementaux clignotent depuis des décennies lorsque les pays ont accepté, en 2010, les Objectifs d’Aichi pour la diversité biologique.

Ces objectifs visaient à inverser le déclin environnemental en protégeant les espèces menacées, en mettant à l’abri de l’exploitation divers écosystèmes terrestres et océaniques, et en transformant les secteurs économiques pour les rendre plus durables.

Pourtant, une décennie plus tard, pas un seul des objectifs n’a été atteint, selon un rapport de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (UNCBD), en grande partie parce que les pays n’ont pas réussi à financer les efforts de conservation. Ils n’avaient pas non plus la capacité de suivre et de communiquer les données environnementales, bien que ce manque se soit amélioré ces dernières années.

« L’ensemble des systèmes vivants de la Terre est compromis, » a déclaré Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive de la Convention sur la diversité biologique (CDB), dans une déclaration sur le rapport. « Plus l’humanité exploite la nature de manière non durable et sape ses contributions aux populations, plus nous compromettons notre propre bien-être, notre sécurité et notre prospérité. »

Aujourd’hui, une coalition de 60 pays dirigée par le Costa Rica, la France et le Royaume-Uni propose l’objectif 30x30, qui sera introduit lors de la convention des Nations unies sur la diversité biologique dans le courant de l’année.

La proposition appelle les pays à doubler le montant actuel engagé dans la préservation des terres et à quadrupler le montant consacré à la protection du milieu marin. Elle exhorte, par ailleurs, les États à donner la priorité aux espèces menacées d’extinction et à protéger les ressources écosystémiques naturelles telles que la disponibilité de l’eau douce.

Un autre élément majeur de la proposition consiste à valoriser les formes autochtones de conservation. Les communautés autochtones représentent 5 % de la population mondiale, mais protègent environ 80 % de la biodiversité. L’autonomisation des dirigeants autochtones, grâce à des fonds et à des protections juridiques, contribuera grandement à rendre possible l’objectif 30x30.

Minnie Degawan, membre du groupe autochtone Kankanaey-Igorot aux Philippines, a expliqué, dans un entretien à Conservation International, la réciprocité qui sous-tend la relation des autochtones au monde naturel.

« Dans de nombreux cas, la relation de l’Occident avec la nature est plus transactionnelle, tandis que la relation des peuples autochtones à leurs territoires est plus interdépendante, » a-t-elle souligné. « Lorsque les peuples autochtones prélèvent quelque chose de la nature, comme de la nourriture, de l’eau ou des médicaments, nous donnons aussi quelque chose en retour afin de gérer durablement la terre. En fait, les terres gérées par les autochtones montrent moins de déclin des espèces et de pollution, ainsi que des ressources naturelles bien mieux gérées.

La proposition 30x30 est devenue de plus en plus urgente à l'heure où le changement climatique perturbe la stabilité des écosystèmes terrestres et marins. Au cours des derniers mois, des incendies de forêt sans précédent, des vagues de chaleur terrestres et marines ainsi que des sécheresses ont démontré que la hausse des températures mondiales rendra inhabitables de vastes pans de la planète.

Face à cette perspective, l’effort visant à protéger 30 % de la planète semble être le strict minimum à faire.

Que peuvent faire les pays pour atteindre l’objectif 30x30 ?

A white-tipped reef shark swims between the coral in Fiji.
A white-tipped reef shark swims between the coral in Fiji.
Image: © Photo by Edgardo Ochoa/Conservation International

Les États peuvent protéger 30 % de leurs espaces terrestres et marins grâce à la législation. En consultant des scientifiques et des groupes autochtones, il est possible d’identifier des zones écologiquement importantes et fragiles, puis de faire reconnaître ces zones par la justice afin d’en limiter l’interférence humaine.

Au cours de cette décennie, l’objectif de 30 % pourra être atteint grâce à une série de mesures de préservation mises à la disposition des gouvernements.

La forme la plus stricte de conservation consiste à restreindre toutes activités humaines, sauf les plus respectueuses de l’environnement, dans une zone (avec des exemptions spéciales prévues pour les groupes autochtones et autres qui s’engagent dans des actions durables). Par exemple, les activités agricoles et commerciales peuvent être interdites dans une zone terrestre protégée, et la pêche et la navigation maritime peuvent être interdites dans une zone côtière particulière.

Ces appellations de « zones protégées » sont la solution idéale pour accélérer la reconstitution des écosystèmes et prévenir la disparition des espèces. Il existe également d’autres options moins contraignantes que les gouvernements ont adoptées dans le cadre de leurs objectifs de conservation.

Les autres mesures de conservation efficaces par zone (AMCEZ) identifient des territoires qui répondent déjà aux objectifs de conservation mais qui n’ont pas de désignation particulière. En les reconnaissant légalement, les gouvernements peuvent permettre aux activités existantes de persister tant qu’elles n’interfèrent pas avec les objectifs de conservation. De cette façon, les économies écologiquement saines peuvent être préservées et imitées.

Les gouvernements peuvent également travailler avec les pays frontaliers pour protéger les zones sensibles qui traversent les frontières nationales. Ce type d’approche collaborative sera essentiel pour protéger d’importantes ressources terrestres et marines.

Il ne suffit toutefois pas de désigner une aire protégée ou AMCEZ. Les pays doivent ensuite consacrer un financement continu à la gestion et à la protection efficaces des espaces.


Qu’est-ce qui fait obstacle à cet objectif ?

A coal miner Scott Tiller walks through the morning fog before going underground in a mine less than 40-inches high in Welch, W.Va. Older coal-fired plants are being idled to meet clean-air standards. Many environmental groups and Democrats fear a potential rollback of the Obama administration’s policies on climate change and renewable energy.
Image: AP Photo/David Goldman

La question de savoir si 30 % de la planète sera protégé d’ici 2030 est, en fin de compte, une question d’argent. Les communautés autochtones, les défenseurs de l’environnement et les scientifiques savent comment protéger les écosystèmes terrestres et marins. Ils n’ont tout simplement pas le financement nécessaire pour mettre en œuvre leurs connaissances.

Le financement de la conservation mondiale est actuellement de centaines de milliards de dollars en deçà de ce qu’il devrait être pour atteindre les Objectifs d’Aichi pour la biodiversité. L’objectif 30x30 étant plus ambitieux, il faudra débloquer encore plus de financements.

Parallèlement, les industries responsables de la destruction de la planète bénéficient d’un énorme soutien financier et politique. Le simple transfert des 548 milliards de dollars de subventions annuelles accordées aux combustibles fossiles par les gouvernements du G20 permettrait de couvrir la majorité des 700 milliards de dollars de dépenses annuelles nécessaires pour financer intégralement les objectifs de conservation mondiaux.

En revanche, les pays doivent aller plus loin, selon les scientifiques. Il ne suffirait pas de financer les efforts de conservation ; les industries qui détruisent et polluent la planète doivent être abandonnées ou transformées. De fait, de nombreuses entreprises polluent et détruisent régulièrement des zones protégées pour la conservation. 

La liste des secteurs économiques incriminés est longue et englobe tout, de la fabrication de biens de consommation et de technologies aux activités maritimes comme la pêche, en passant par le développement urbain et la conversion des terres. 


Deux secteurs industriels, en particulier, doivent être immédiatement transformés.


L’industrie mondiale de l’énergie prévoit de construire des plates-formes pétrolières, des pipelines et des exploitations minières dans des zones écologiques très sensibles. Non seulement ces plans ne peuvent pas être autorisés, mais l’infrastructure existante de cette industrie doit être entièrement repensée. Le développement des combustibles fossiles n’est pas compatible avec les objectifs de conservation.

En outre, l’agriculture industrielle, principal responsable de la déforestation et de la dégradation des sols sur la planète, doit être remplacée par des systèmes communautaires d’agriculture régénératrice qui mettent l’accent sur la santé des sols et fonctionnent en harmonie avec les écosystèmes locaux plutôt que contre eux.

Il sera extrêmement difficile de s’attaquer à ces secteurs car les entreprises qui les composent fournissent des emplois, génèrent beaucoup de revenus, agissent dans le secret et font souvent fi de la loi.

Les entreprises nuisibles à l’environnement harcèlent, intimident, chassent et tuent souvent les organisateurs communautaires qui œuvrent à la protection des écosystèmes locaux. Ce déséquilibre extrême des pouvoirs révèle les priorités biaisées des pays du monde entier : non seulement la conservation est sous-financée, mais les gardiens de l’environnement sont intimidés et assassinés en toute impunité.

Si ces tendances se poursuivent, le message sera clair : 95 % de tous les environnements terrestres seront dégradés d’ici 2050.


Quels sont les pays qui ouvrent la voie ?

Le Yale Center for Environmental Protection publie chaque année un rapport qui classe les pays en fonction de leur degré de protection de l’environnement. Pour ce faire, il examine des dizaines de critères tels que la qualité de l’eau, la qualité de la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre, entre autres.

Les pays européens dominent la dernière édition du rapport, avec 18 des 22 premières places. Le Danemark a reçu le meilleur score pour avoir donné la priorité à l’intégrité environnementale dans toutes les facettes de la société.

Un autre rapport de Conservation Biology a révélé que les pays ayant la biodiversité la plus riche sont ceux qui consacrent le moins d’efforts à la conservation, en grande partie à cause d’un manque de ressources.

Classer les pays en fonction de leur gestion de l’environnement peut donner la fausse impression que chaque pays existe sans interdépendance. Ce n’est pas comme cela que la planète fonctionne : la biodiversité d’une région a une incidence sur celle d’une autre, tout comme le changement climatique dans une région entraîne des répercussions dans une autre.

Les crises de la biodiversité et du climat sont d’ampleur mondiale et nécessitent des solutions mondiales.

Cela signifie que la protection de la biodiversité, tout comme la lutte contre le changement climatique, ne peut se faire de manière isolée. Les pays doivent financer un objectif 30x30 collectif, tout comme ils doivent investir dans des mesures d’adaptation et de lutte contre le changement climatique à l’échelle internationale. Les pays à haut revenu ont déjà accepté de consacrer 100 milliards de dollars par an aux mesures climatiques dans les pays à faible revenu. Le même type d’engagement, adapté à l’ampleur de la crise, doit être pris en faveur de la biodiversité.

C’est ce que les organisateurs et les activistes entendent par justice environnementale : faire en sorte que tous les humains et toutes les espèces vivent confortablement sur la planète en partageant équitablement les ressources. La réalisation de ce type d’avenir nécessite une transition équitable permettant de passer de l’économie actuelle à une économie axée sur l’épanouissement mutuel.

Protéger 30 % de la planète est un bon début. Mais l’objectif final devrait être 100 % de la faune.

Que pouvez-vous faire ?

Vous pouvez devenir un défenseur de la planète en vous informant sur la biodiversité, en rejoignant des organisations qui protègent les écosystèmes locaux et en exhortant les dirigeants politiques à investir dans la conservation et la restauration. Vous pouvez également passer à l’action pour défendre la planète ici.


Vous pouvez rejoindre la campagne Global Citizen Live en passant à l'action ici pour défendre la planète et vaincre la pauvreté, et faire partie d'un mouvement porté par des citoyens du monde entier qui agissent de concert avec les gouvernements, les entreprises et les philanthropes pour changer les choses.





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