Cet article a été écrit par Michael Sheldrick, cofondateur et responsable des politiques, de l’impact et des affaires gouvernementales chez Global Citizen et par Martijn Lampert, directeur de recherche et cofondateur de Glocalities.
Pour mettre fin aux guerres climatiques à travers le monde, les personnes qui sont en mesure de le faire doivent de toute urgence promouvoir et faire connaître les nouveaux témoignages et récits qui lient et reflètent les valeurs et les points de vue de la jeunesse mondiale.
Il faut se recentrer sur le fait que l’action climatique peut être étroitement liée à une vision positive de l’avenir, à la fois pour l’Occident et pour tout le monde entier. Partager ces récits peut être un moyen de répondre aux espoirs et aux rêves de milliards de personnes.
Heureusement, les jeunes se sont révélés être de formidables narrateurs et utilisent déjà leurs propres expériences pour diriger des mouvements. Ils se font déjà entendre et maintenant, ils doivent être écoutés.
Comme vous le savez, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, la COP26, qui s’est tenue à Glasgow en novembre dernier, a entraîné des divisions, aucune prise de responsabilités, une inaction et une impasse. Les économies riches n’ont pas réussi à fournir le financement promis depuis si longtemps tout en faisant pression (et de manière assez fourbe) sur les économies en développement afin qu’elles intensifient leurs efforts.
Certaines économies émergentes ont déclaré qu’elles attendraient que le « monde riche » honore son engagement en matière de financement avant de se précipiter pour relever les défis d’une catastrophe mondiale, qu’elles nient et pour laquelle (du moins historiquement) elles ne sont pas co-responsables.
Pendant ce temps, les sociétés les plus vulnérables du monde, isolées et sans voix, se retrouvent chaque jour un peu plus proche du précipice qu'est le désastre climatique. Les conséquences se feront ressentir avec le plus d'intensité par les jeunes.
Pourtant, dans les mairies et les conseils municipaux à travers le monde, des discussions animées et constructives ont lieu sur la manière d’accélérer la transition vers des énergies plus propres tout en évitant des bouleversements sociaux et économiques. Éviter de tels bouleversements est tout particulièrement important lorsqu’il s’agit de menacer le pouvoir de l’élite politique et des affaires (comme la suppression des subventions aux énergies fossiles).
Contrairement aux clichés utilisés à outrance d'une « jeunesse désengagée », ces discussions sont en grande partie initiées par les jeunes, en particulier des jeunes issus de régions en développement à travers le monde, ce qui représente 88 % de la jeunesse mondiale. L’inquiétude autour du changement climatique est reflétée dans les actions et dans les réponses des Global Citizens.
Avant la COP26, nous avons invité les personnes présentes sur notre plateforme à partager leurs expériences sur le thème du changement climatique. Les réponses ont surpassé nos attentes. Madelena du Kenya a parlé des effets dévastateurs de l’évolution des conditions météorologiques sur sa ville agricole. Elizabeth de Tanzanie a appelé à passer à l’action pour aider sa communauté à mieux se préparer aux inondations soudaines. Tyabe du Pakistan a mis en garde contre la menace croissante de pénuries d’eau dans sa ville.
Avec d’autres, leurs voix ont formé un cri de ralliement de la jeunesse mondiale. Un cri qui appelle à agir pour la planète.
Pourtant, depuis trop longtemps, les voix de nombreux militants ont été ignorées et déformées sur la scène mondiale par les élites locales, les dirigeants internationaux et même par les défenseurs et les militants des pays du Nord qui se sont trop focalisés sur leurs propres perspectives en matière d’organisation et de narration.
Parmi les récits classiques, qui noient souvent tout autre discours, se trouve l’idée qu’agir pour le climat doit être un jeu à somme nulle. Trop de personnes pensent qu’il s’agit d’une guerre dans laquelle il y aura inévitablement des gagnants et des perdants. Il y a ceux, principalement dans les pays du Nord, qui soutiennent que le monde entier doit avancer à la même cadence rapide pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
De telles affirmations insinuent de manière implicite que les besoins, les espoirs, les rêves et les aspirations en matière de développement de milliards de personnes dans les communautés les plus pauvres sont une préoccupation secondaire. En effet, ces gens disent aux autres : « Oui, c’est dommage que vous ne puissiez pas sortir les gens de la pauvreté de la même manière que nous l’avons fait, mais au moins nous empêcherons la planète de brûler. »
À côté de ça, il y a des dirigeants politiques qui se servent de ces affirmations comme excuse pour leur faible action et qui ne se présentent pas aux négociations. Après tout, pourquoi devraient-ils être présents ? Ils ne sont pas responsables de la crise actuelle, alors pourquoi les aspirations et les besoins de leur population devraient être relégués au second plan ?
Pourtant, de tels scénarios où le gagnant rafle toute la mise font partie d’un récit commun, un récit qui implique que les jeunes devraient mettre leurs préoccupations entre parenthèses pour lutter contre le changement climatique. Sans surprise, cela est totalement en décalage avec les points de vue et les vies de nombreux jeunes dans les pays développés et émergents.
Bref, ce récit climatique, axé sur les limites de la croissance économique et sur un futur pessimiste, est complètement déconnecté de leurs aspirations et de leurs valeurs. Il ne reflète pas non plus les énormes opportunités économiques que présente l’action climatique, qui regroupe principalement des jeunes militants.
Une enquête mondiale menée par l’agence de recherche Glocalities en 2021 met en évidence la façon dont les jeunes des régions en développement sont aussi inquiets par le changement climatique que ceux des régions développées, 64 % des jeunes des régions en développement sont fortement préoccupés par le changement climatique. Leur inquiétude autour du changement climatique va de pair avec des préoccupations tout aussi importantes concernant la pauvreté, la corruption, l’éducation de qualité et l’égalité des genres. Et ils sont deux fois plus préoccupés par le chômage que par le changement climatique.
Dans l’ensemble, la recherche de Glocalities souligne que, contrairement à la vision pessimiste de nombreux dirigeants envers l’action climatique en tant que jeu économique à somme nulle, les jeunes des régions en développement ont tendance à être beaucoup plus positifs quant à leur avenir. Mettre en avant des récits et des témoignages qui parlent de cette vision alternative pourrait permettre d’enfin aller au-delà du ton dissident des soi-disant guerres climatiques. Il servirait de catalyseur pour lier et mobiliser en grand nombre une nouvelle génération de défenseurs du climat capables de démontrer aux dirigeants que de nombreux électeurs pro-climat sont impatients de voir du changement.
Au cœur de ce récit alternatif, l’action climatique se préoccupe à la fois du bien-être de notre planète et de l’avenir de nos enfants. Les deux ne sont pas incompatibles. La solution à la crise climatique créera sans aucun doute de nouvelles opportunités pour améliorer la santé, le bien-être et les moyens de subsistance des communautés, en créant de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités économiques, en transformant et en optimisant les villes, l’air pur, en soutenant les familles et, en fin de compte, en améliorant le niveau de vie grâce aux nouvelles technologies.
Les chiffres en sont la preuve. Les énergies renouvelables créent actuellement cinq fois plus d’emplois que les énergies fossiles. Et, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, le nombre d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables est passé de 1,7 million en 2004 à 10,3 millions en 2017 et à 11,5 millions en 2019. Des accords dits de transition énergétique juste sont déjà en train d’être mis en place pour permettre aux pays souhaitant initier une transition, de consolider les financements nécessaires pour franchir le cap tout en protégeant le bien-être de leurs populations. C’est ce qui se passe en Afrique du Sud et cet exemple devrait être une inspiration pour beaucoup d’autres pays à travers le monde.
Dans cette optique, l’action climatique fait partie intégrante du programme plus large de changement, de transition, de transformation sociétal et économique que les jeunes espèrent voir leurs dirigeants réaliser. C’est un catalyseur, non seulement pour éviter un désastre climatique, mais aussi pour mettre fin à la pauvreté, et ce, rapidement. C’est ce récit qui doit être raconté. Il est déjà raconté, mais doit être amplifié pour atteindre un public plus large.
C’est un sentiment qui a été exprimé avec éloquence par Brianna Fruean, une jeune pionnière de la campagne pour le climat du Samoa et lauréate du Global Citizen Prize : Citizen Award 2022. Lorsqu’elle a reçu son prix en mai au dîner du Global Citizen Prize à New York, Brianna a partagé son point de vue optimiste selon lequel la crise climatique ne doit pas être la fin, mais le début, selon ses mots, « d’une renaissance environnementale qui agit en tant que renouvellement pour l’humanité ». Un renouvellement qui consiste en une action transformatrice qui rassemble tout le monde : des communautés en première ligne aux travailleurs touchés par la grande transition énergétique à venir.
Il y a beaucoup d’autres témoignages comme celui de Brianna qui ont déjà été racontés en réplique aux récits pessimistes et antagonistes dominants qui ont tendance à monopoliser les discussions mondiales sur le climat. Mais ils ont besoin d’un tremplin plus important pour percer à la COP27 en Égypte, au G20 à Bali, au G7 en Allemagne, et tant d’autres. Une conférence citoyenne sur la gouvernance mondiale qui crée un espace pour que ces témoignages soient racontés et diffusés aux plus hauts niveaux pourrait clairement être une solution.
En fin de compte, mettre en avant et promouvoir des récits et témoignages alternatifs autour de l’action climatique peut être un élément clé pour dynamiser de nouveaux groupes et mouvements de défenseurs du climat dans les communautés du monde entier. Cela empêcherait également l’appropriation des aspirations des jeunes comme excuse pour l’inaction face au changement climatique, tout en mettant fin au mythe que les jeunes s’en moquent. Et, s’ils sont forcés à écouter de nouveaux récits, les dirigeants pourraient enfin reconnaître qu’ils ont reçu un ordre d’échelle mondiale appelant à aller au-delà des guerres climatiques du passé et pour passer à l'action maintenant.