Rencontrez celle qui se bat contre la désinformation sur la COVID-19 en Afrique

Auteur: Jacky Habib

Esther Sweeney for Global Citizen

Après que la ministre de la Santé ougandaise se soit faite vacciner contre la COVID-19, un tweet affirmant que la seringue était vide et qu’elle n'avait pas touché sa peau s’est rapidement propagé.

En réalité, Jane Ruth Aceng avait bien reçu le vaccin lors d'une conférence de presse, mais des journalistes lui avaient demandé de faire une démonstration supplémentaire afin qu’ils prennent  des photos et des vidéos illustrant sa vaccination. Ces photos-là sont devenues virales et ont amené certains à douter du vaccin contre la COVID-19.  

Doreen Wainainah, la rédactrice en chef de PesaCheck à Nairobi, l'un des plus grands organes de vérification des faits d’Afrique, nous explique comment certains internautes ont saisi cette opportunité pour saper la confiance des gens dans le vaccin. 

« Ils ont utilisé cette séquence [vidéo de la démonstration de l'injection] sans la version originale [de la vraie infection] et ont dit : ‘si la ministre ne se fait pas vacciner, si le gouvernement n’a pas confiance en ce vaccin, pourquoi vous faites-vous vacciner ?’. »

En 24 heures, la vidéo a été vue par des centaines de milliers de personnes à travers le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, selon Doreen Wainainah.

« Elle a été utilisée pour alimenter le discours anti-vaccination, » a-t-elle souligné.

Quand son équipe a découvert ce clip vidéo, ils ont contacté les journalistes présents lors de la conférence de presse afin qu’ils fournissent des preuves et une explication, ce qui a permis de démentir les fausses informations. 

Doreen Wainainah et son équipe de 20 vérificateurs de faits, répartis dans une douzaine de pays africains, travaillent chaque jour à identifier et démystifier les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ils produisent des articles en quatre langues, anglais, français, swahili et amharique, afin de garantir aux gens un accès à des informations fiables. 

Doreen Wainainah leads a team of 20 fact checkers across Africa who are helping verify information in four languages on COVID-19, to combat misleading and inaccurate information.
Doreen Wainainah leads a team of 20 fact checkers across Africa who are helping verify information in four languages on COVID-19, to combat misleading and inaccurate information.
Image: Esther Sweeney for Global Citizen

En mars 2020, alors que la pandémie faisait rage dans le monde entier, l'équipe de PesaCheck a constaté un pic de désinformation sur la COVID-19. 

Selon Doreen Wainainah, la désinformation a évolué au cours de la pandémie. Au départ, elle portait surtout sur les origines du virus et la façon de le combattre. Elle s’est concentrée, ensuite, sur les vaccins et leurs effets secondaires. 

« Au début, il y a eu de nombreuses théories du complot selon lesquelles la 5G serait à l’origine de la COVID-19, » se souvient Doreen Wainainah. « Et il y a eu d’autres théories [suggérant que] les Africains ne pouvaient pas attraper le virus ou en mourir. »

Parmi les autres informations erronées qui ont beaucoup circulé, il faut évoquer les différentes théories sur les façons de combattre le virus, notamment les remèdes maison comme le gargarisme à l’eau chaude et salée, qui permettrait de tuer le virus instantanément. 

Selon Doreen Wainainah, une autre rumeur populaire qui s'est répandue en Afrique, en Éthiopie et dans les pays d'Afrique francophone, en particulier, mais également à travers le monde, était que les vaccins contre la COVID-19 pouvaient modifier l'ADN d'un individu. 

Doreen Wainainah et son équipe corrigent chaque fausse information et mettent à jour le site internet en indiquant sil'information est vraie ou fausse, grâce à leurs sources et aux preuves apportées. 

PesaCheck fait partie du Programme Facebook de vérification tierce et peut donc signaler sur le réseau social qu’une information est fausse ou fallacieuse. Cela permet ainsi de flouter les images et d’inclure une note expliquant que le contenu a été vérifié et identifié comme étant une fausse information avant que l’utilisateur ne clique dessus. 

Si l'équipe est en mesure de vérifier aisément la majorité des informations, d'autres cas sont plus complexes. C’est le cas en Tanzanie, où la réponse à la COVID-19 a été jugée « très préoccupante » par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Doreen Wainainah a constaté qu’il y est difficile de vérifier des informations. 

At PesaCheck, 20 fact-checkers across a dozen countries work to independently verify information in four languages.
Image: Esther Sweeney for Global Citizen

Deux mois après avoir détecté son premier cas positif de COVID-19, la Tanzanie a levé les restrictions et les mesures qui avaient été mises en place pour enrayer la propagation du virus. Le 28 juin, la Tanzanie a partagé, pour la première fois en un an, les chiffres des cas de COVID-19. Le pays avait, en effet, cessé de communiquer ses données en avril 2020.

En Tanzanie les fausses informations découvertes par Doreen Wainainah et son équipe étaient surtout des remèdes de grand-mère censés protéger de la COVID-19. Des théories faciles à démentir en se basant sur les études de l’OMS. 

« Tous les faits que nous pouvions vérifier, nous les vérifions, » explique Doreen Wainainah. « Mais s’agissant du taux de mortalité ou du nombre d’infections, malheureusement, nous n’avions pas accès à ces chiffres. Nous n'avons donc pas pu procéder à une vérification indépendante, car le gouvernement n'effectuait même pas de tests COVID-19. »

Compte tenu de la « situation délicate » du pays, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse, les noms des reporters et des fact-checkers de PesaCheck basés en Tanzanie ne figurent pas à côté de leurs articles afin d'éviter d'éventuelles représailles. 

En mai, la Tanzanie a finalement annoncé de nouvelles mesures, comme l'obligation pour les voyageurs de présenter un test COVID-19 négatif pour entrer dans le pays. En outre, un comité nommé par le gouvernement a recommandé de communiquer des données fiables sur les cas de COVID-19, de mettre en place des mesures pour éviter la propagation du virus et de rejoindre COVAX, un programme mondial qui fournit gratuitement des vaccins contre la COVID-19.

En juin, la présidente Samia Suluhu Hassan a annoncé que le pays s'était inscrit au programme COVAX et prévoyait d'administrer les vaccins contre la COVID-19. 

Doreen Wainainah, qui est une ancienne journaliste, affirme que le journalisme et la vérification des faits respectent les mêmes principes déontologiques. Toutefois, pour les journalistes, citer une source est une preuve suffisante pour l’inclure dans un reportage tandis que la vérification des faits va au-delà, en interrogeant ses sources sur la provenance de ses informations afin de les vérifier.

De plus, Doreen Wainainah estime que les médias et les journalistes sont souvent en concurrence les uns avec les autres alors que son expérience a révélé que les organismes de  vérification des faits collaborent pour vérifier des affirmations.  

« Le réseau de vérificateurs des faits est collaboratif. Ce n'est pas une compétition... C'est donc très différent des médias, » explique-t-elle. 

Au cours des derniers mois, Doreen Wainainah a constaté une sensibilisation accrue à la désinformation. Selon elle, lorsque quelqu'un publie une déclaration sur les réseaux sociaux, d'autres personnes la commentent en demandant si elle est vérifiée et taguent PesaCheck pour les inviter à se pencher sur le sujet. 

Doreen Wainainah poses for a portrait in Nairobi, Kenya in June 2021.
Doreen Wainainah poses for a portrait in Nairobi, Kenya in June 2021.
Image: Esther Sweeney for Global Citizen

À une époque où la désinformation est très répandue et se propage rapidement, notamment sur les réseaux sociaux, Doreen Wainainah conseille à tous de toujours vérifier la source d’une information et de déterminer si elle est exacte en fonction de l'organisation qui la diffuse, comme les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ou l'OMS. 

Par ailleurs, il faut, selon elle, que les gens soient à l'affût de signaux d'alarme dans les messages, comme des fautes de frappe, des logos mal positionnés ou encore des mauvaises couleurs de marque car certaines fausses informations sont présentées comme étant publiées par des organisations crédibles, tels que la Croix-Rouge ou des ministères de la santé. 

« Dans un monde où tout devient viral, que ce soit vrai ou faux, je pense que les vérificateurs des faits sont indispensables pour faire en sorte que les fausses informations ne se répandent pas, pour ralentir ce processus ou l'arrêter complètement, » conclut Doreen Wainainah.