Anil Wasif a immigré au Canada du Bangladesh à l'âge de 19 ans pour effectuer ses études à l’Université de Toronto.
Lors de son arrivée, il a rapidement trouvé sa place au milieu d’un groupe de six autres immigrants venus du Rwanda, du Sénégal, de l'Équateur, du Kazakhstan, de Kazan et du Brésil — un groupe qu'il appelle en plaisantant « les minorités ». Le groupe d'amis discutait régulièrement de leurs expériences face au racisme au Canada.
« [Ils] m'ont donné un autre regard sur la sensibilité culturelle ; un regard qui a été renforcé par la mosaïque culturelle très soudée que nous appelons Toronto », a déclaré M. Wasif à Global Citizen.
Aujourd’hui, la population de Toronto est composée de près de 46% d’immigrants, selon un recensement officiel effectué en 2016, mais de certaines tensions raciales existent toujours dans la ville — et à travers le pays.
En mai dernier, une jeune femme Noire, Rachel Korchinski-Paquet, a notamment perdu la vie suite à un échange avec la police. Son décès a indigné de nombreux Torontois, qui ont manifesté pacifiquement pour dénoncer la persistance du racisme systémique au Canada et partout dans le monde.
Ces évènements sont précisément ce qui a poussé M. Wasif, aujourd’hui âgé de 26 ans, à agir.
À travers le projet « Toronto Talks Privilege », le jeune homme, analyste politique pour le gouvernement de l’Ontario, souhaite créer un livre composé de 100 histoires relatant l’impact du privilège sur les vies de 100 Torontois Noirs de tous âges. Le but : amplifier les voix des Noirs et permettre aux personnes non-privilégiées de pouvoir s’exprimer sur leur propre vécu.
« J'avais prévu un projet pour capturer ceci en réunissant 100 histoires de Torontois à propos de tout ce qu'ils souhaitaient partager sur un morceau de papier. Quand j'ai vu la scène où George Floyd est mort, étouffé par un policier... Je n'arrivais pas à dormir », a dit M. Wasif.
Il a ajouté : « Chaque soir, je me couchais en me demandant comment je pourrais aider à sensibiliser les gens à la lutte contre le racisme dans le monde. [Je voulais créer] quelque chose de tangible qui fasse écho à la façon dont je conçois Toronto, et qui crée un espace où l'on puisse écouter les récits de la vie des Noirs en 2020. Et c'est là que j'ai compris que le moment était venu de réaliser le projet auquel je pensais. J'ai pris contact avec certains de mes amis Noirs les plus proches, je leur ai soumis l'idée et une fois qu'ils m'ont rejoint, nous étions prêts à nous lancer. »
Mais le privilège, c’est quoi, au juste ?
Ce terme, apparu dans les années 1980, fait référence à certains avantages sociaux ou à certains degrés de prestige et de respect qu'un individu possède en raison de son appartenance identitaire et sociale. Dans les sociétés américaines et occidentales, ces identités sociales privilégiées — c’est-à-dire, des personnes qui ont historiquement occupé des positions de domination sur d’autres — incluent les blancs, les hommes, les hétérosexuels, les chrétiens et les plus riches, entre autres, selon le Dr Justin García, professeur associé d'anthropologie à l'Université de Millersville.
Pour comprendre le privilège, il est important de s’informer sur ses manifestations, mais aussi sur les façons dont certains peuvent en bénéficier ou, au contraire, en souffrir.
Et pour M. Wasif, c’est par le récit que cette prise de conscience doit passer.
« Je me suis rendu compte que beaucoup de mes amis non-Noirs commençaient à mieux comprendre la situation en écoutant des récits, a-t-il notamment écrit dans le cadre de son appel aux dons sur Kickstarter. En consultation avec un grand nombre de personnes, nous avons donc décidé de créer un projet pour illustrer comment les individus moins privilégiés socialement vivaient la situation. »
Cette collecte de fonds permettra de couvrir les frais de création et de production de l’ouvrage, mais aussi d’offrir un exemplaire du livre à toute personne ayant contribué au projet.
Les personnes concernées peuvent quant à elles soumettre leur histoire à travers un formulaire. D’un poème à une photo, en passant par une illustration, la voie à la créativité est ouverte, tant que le récit est authentique et capte l'expérience d'un individu qui a dû confronter des expériences de privilège. Les détails personnels peuvent également être cachés pour préserver l’anonymat de ceux qui le souhaitent.
Pour chaque livre financé au-delà des 100 premiers, un exemplaire sera donné à une bibliothèque ou à un centre communautaire de Toronto, pour que chaque dollar récolté grâce au projet soit reversé à une bonne cause.
M. Wasif est conscient que cette initiative ne mettra pas fin au problème complexe qu’est le racisme, mais il espère pouvoir mettre en lumière une réalité souvent occultée en soulignant la solidarité des Torontois.
« La diversité est notre force. L'empathie est notre nature. Rassemblons-nous pour AMPLIFIER les voix noires qui nous entourent », a-t-il ainsi conclu par écrit.