Comment cette femme utilise son téléphone portable pour lutter contre la cécité des rivières au Cameroun

Auteur: Jacky Habib

Daniel Beloumou for Global Citizen

Pourquoi les Global Citizens doivent s'en préoccuper
L'objectif mondial n° 3 des Nations Unies vise à garantir à chacun, partout, l'accès à la santé et au bien-être. Pour ce faire, nous devons nous assurer que les populations nomades, qui sont souvent difficiles à localiser et à atteindre en raison d'obstacles tels que leur éloignement et leurs fréquents déplacements, bénéficient de soins de santé adéquats. Rejoignez Global Citizen pour passer à l'action sur cette question et bien plus encore ici.

Lors d'une journée de travail typique à Yaoundé, au Cameroun, Kareen Atekem saute à l'arrière d'une moto vêtue d'une veste de pluie, d'un casque et d'un masque. Avec un téléphone à la main et une carte numérique qui la guide, elle dirige un motard vers sa destination. 

Bientôt, le chemin de terre est obstrué par des buissons, ce qui l'oblige à poursuivre le voyage à pied. La chercheuse en santé s'aventure littéralement hors des sentiers battus, dans des zones non cartographiées de la région occidentale du pays. 

Ici, elle cherche à trouver des membres de la communauté nomade de Massangam, de petits groupes de la population locale, dont la localisation géographique n'est pas enregistrée. Elle utilise la technologie satellite pour trouver des ensembles de huttes, qu'elle suppose être des camps de nomades.

« Ce n'est pas évident parce que ces camps sont loin de la communauté et très difficiles d'accès », a déclaré Mme Atekem à Global Citizen, essoufflée, alors qu'elle marchait en balayant des buissons pour se frayer un chemin.

Quelques heures plus tard, elle marche sur des planches de bois qui lui permettent de traverser la rivière Nja, signe qu'elle est sur le bon chemin. Lorsqu'elle arrive sur les lieux, elle rencontre les membres d'une communauté sédentaire, et non le groupe nomade qu'elle cherchait. Elle suit l'emplacement suivant sur la carte et repart de nouveau, pour finalement localiser une communauté nomade. 

« Le voyage en valait la peine », dit-elle. 

C'est maintenant que commence son véritable travail. 

Kareen Atekem is photographed at the Sightsavers headquarters in the Bastos district of Yaoundé, Cameroon in November 2020. "Since my early childhood I have always wanted to help, to bring my help to people in need," said Atekem.
Kareen Atekem is photographed at the Sightsavers headquarters in the Bastos district of Yaoundé, Cameroon in November 2020. "Since my early childhood I have always wanted to help, to bring my help to people in need," said Atekem.
Image: Daniel Beloumou for Global Citizen

Cette militante de la santé, âgée de 30 ans, dirige un projet de recherche qui utilise des traitements alternatifs pour accélérer l'élimination de l'onchocercose, une maladie tropicale négligée (MTN) également connue sous le nom de cécité des rivières. 

Mme Atekem passe la journée au campement nomade, où elle examine les personnes atteintes de cécité des rivières et fournit un traitement à celles qui en sont atteintes.  

Selon elle, la transmission de la maladie se poursuit depuis plus de 20 ans au sein des Massangam, bien qu’elle précise que les membres atteints de cécité des rivières reçoivent des médicaments chaque année.

Elle explique que les communautés affichent un taux de prévalence de la maladie de 30 %.

« C'est vraiment, vraiment élevé, et bien sûr avec cette prévalence, vous ne pouvez pas parvenir à l'élimination », dit-elle.

Mme Atekem, qui travaille pour l'organisation caritative internationale Sightsavers, explique que leur stratégie pour éliminer la cécité des rivières consiste à fournir le traitement nécessaire, à savoir le mectizan, sur une base semestrielle plutôt qu'annuelle. En complément, un traitement à la doxycycline a été mis en place afin d'accélérer l'élimination de la maladie. 

L'organisation applique également un traitement chimique aux rivières où les mouches se reproduisent pour tuer les larves, les empêchant ainsi de se transformer en mouches adultes qui transmettent la maladie.

Kareen Atekem takes notes at the Sightsavers headquarters in Yaoundé, Cameroon. "Since the beginning of the COVID-19 pandemic, we have been doing a lot of teleworking... and the staff is reduced here at the NGO's headquarters," explained Atekem.
Kareen Atekem takes notes at the Sightsavers headquarters in Yaoundé, Cameroon. "Since the beginning of the COVID-19 pandemic, we have been doing a lot of teleworking... and the staff is reduced here at the NGO's headquarters," explained Atekem.
Image: Daniel Beloumou for Global Citizen

La cécité des rivières, une maladie des yeux et de la peau, se propage par les piqûres de mouches noires infectées à proximité des rivières au courant rapide. Lorsque les mouches piquent, leurs larves de vers envahissent le corps d'une personne, provoquant de graves irritations de la peau. L'infection peut éventuellement entraîner la cécité.

Avec son équipe, Mme Atekem identifie les membres de la communauté des camps nomades de Massangam qui recevront une formation sur la cécité des rivières. 

« Je dois aller voir ces personnes pour m'assurer qu'elles participent réellement au traitement et que nous combattons les MTN, a-t-elle déclaré. Si nous laissons cette population de côté, cela reviendrait à gaspiller les efforts déployés [pour éliminer la maladie]. »

Les membres de la communauté formés servent de liaison entre les chercheurs et leurs communautés nomades, aidant Mme Atekem à obtenir l'approbation des chefs de camp pour mener ce travail — une étape essentielle — et assurant la traduction lors des visites dans les camps. 

Chaque campement se compose de huttes, ou de ménages, qui sont généralement apparentés, et constituent des groupes de 10 à 50 personnes, au sein de la population nomade de Massangam, qui compte environ 700 personnes, et d'une population sédentaire d'environ 2 000 personnes. 

« Parfois, nous dormons même dans leurs huttes, nous nous levons le matin et nous continuons jusqu'au camp suivant, explique-t-elle. Une fois que nous avons terminé avec une communauté, nous revenons à notre base et nous nous préparons à aller vers la suivante. »

Mme Atekem, qui fait ce voyage trois fois par an, passe jusqu'à un mois avec les habitants de Massangam. Le voyage depuis la capitale du Cameroun, où elle habite, implique un trajet de cinq heures en voiture jusqu'à Bafoussam, la capitale de la région occidentale. De là, il faut encore trois heures de route sur des routes non goudronnées pour atteindre la ville, qui fait office de base, et trois heures de marche supplémentaire à pied et à moto pour atteindre des camps spécifiques. 

Ayant grandi dans la région du nord-ouest du Cameroun, Mme Atekem a toujours entendu parler des nomades Massangam. En trois ans de travail avec eux, elle a acquis une connaissance approfondie de leurs habitudes de voyage, de leur culture et de leurs valeurs.

Kareen Atekem

Kareen Atekem
Amidou Sale/Sightsavers

Kareen Atekem

Kareen Atekem
Dominique Catton/Sightsavers

« Parfois, ils vous donnent de la nourriture et de l'eau sans que vous le demandiez. Ils sont si accueillants, a-t-elle déclaré. Vous devez partager avec eux. J'ai même une photo où on mangeait avec eux dans leurs bols traditionnels. »

Il y a quelques mois, quand Mme Atekem ne s'est pas présentée comme prévu, les membres de la communauté se sont demandés pourquoi. 

Laolo, un jeune homme de 19 ans de Massangam, a fait plusieurs heures de route pour se procurer un téléphone.

Il m'a appelé et m'a dit : « Madame, vous ne venez pas administrer le traitement ? » J'ai répondu : « À cause du coronavirus, nous avons cessé toute activité ». Il m'a dit : « Qu'est-ce que le coronavirus ? » se souvient Mme Atekem.

Cette dernière l'a informé de la pandémie et lui a expliqué comment sa communauté pouvait prendre des précautions.

« C'était quelque chose de si percutant pour moi, le fait d'avoir développé une relation avec les nomades qui m'appelaient quand je n'étais pas là », dit-elle.

Bien que les obstacles, notamment leur éloignement, leur culture et leur langue, constituent un défi pour l'accès aux services médicaux, Mme Atekem estime qu'il est essentiel que les soins de santé parviennent aux populations nomades.

« Ces gens aiment leur santé et sont prêts à faire tout ce qu'il faut pour la protéger, mais je crains qu'on ne puisse pas les atteindre », dit-elle. 

Fournir des soins médicaux équitables implique de s'assurer que « personne ne soit laissé pour compte dans la lutte contre cette maladie », a-t-elle déclaré. « Tout le monde a droit à un traitement, pas seulement ceux qui sont sédentaires, les nomades aussi. »

Kareen Atekem, research coordinator at Sightsavers, stands outside the Sightsavers offices in Yaoundé, Cameroon in November 2020.
Kareen Atekem, research coordinator at Sightsavers, stands outside the Sightsavers offices in Yaoundé, Cameroon in November 2020.
Image: Daniel Beloumou for Global Citizen


« The Last Milers » est une série de portraits qui met en lumière les personnes qui luttent contre les maladies tropicales négligées (MTN), qui touchent plus d'un milliard de personnes dans le monde. En s'efforçant de garantir un accès équitable aux traitements, aux mesures préventives et à l'information, ces personnes soutiennent l'élimination des maladies tropicales négligées de diverses manières, dans différents domaines. Elles aspirent à fournir les outils et les services de soins de santé nécessaires à chaque étape du processus, coûte que coûte.

Note : Cette série de témoignages a été rendue possible grâce au financement de la Fondation Bill et Melinda Gates, un partenaire de Global Citizen. Chaque article a été produit en toute indépendance éditoriale.