L’année 2021 a vu une nouvelle fois la pandémie de COVID-19 impacter de manière disproportionnée les pays vulnérables, révélant et exacerbant une fois encore les inégalités entre les pays les plus riches et les plus pauvres.
L’année passée nous a pourtant laissé entrevoir de nombreux espoirs, comme la mise sur le marché des vaccins ou encore la redistribution des droits de tirage spéciaux (DTS) afin de soutenir les économies les plus touchées. Néanmoins, le nationalisme vaccinal et la loi du profit ont mis à mal les espoirs de nombreux pays.
Le variant Omicron, apparu quelques semaines avant les fêtes de fin d’année, nous a pourtant rappelé un fait : tant que tout le monde ne sera pas vacciné, personne ne pourra être en sécurité. Seule une réponse globale et collective pourra mettre fin à cette pandémie et il en sera de même pour la crise climatique.
Global Citizen s’est entretenu avec Hervé Berville, député La République en Marche (LaREM) des Côtes-d’Armor, rapporteur du projet de loi sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales, au sujet des nombreux enjeux liés à la solidarité internationale.
Nous l’avons encore vu cette année, la pandémie a continué d’augmenter les inégalités, notamment entre les pays riches et les pays pauvres. Qu’est-ce qui, selon vous, a manqué ou manque à la solidarité internationale ?
La pandémie a révélé un niveau d’inégalité absurde quand on voit que 80 % de la population des pays les plus riches est vaccinée et qu’à peine 2 % de celle des plus pauvres l’est. C’est absurde car on sait très bien que pour sortir définitivement de la crise, il faut que tout le monde soit vacciné. On voit donc que les inégalités deviennent, au-delà d’être immorales, un frein au bon fonctionnement de nos sociétés.
On a pu résister à la crise, dans les pays les plus riches, grâce aux services sociaux, le chômage partiel ou encore les plans de relance. À l’inverse, les pays les plus pauvres, notamment en Afrique, n’ont pas eu la capacité de mettre en place de telles réponses économiques et sociales. En plus, ces pays se sont même trouvés pris dans le piège de la hausse de leur dette publique. On voit bien que là aussi, la crise a révélé des niveaux inacceptables d’inégalité dans l’accès aux soins, aux ressources financières internationales et bien évidemment aux vaccins.
Ce qui a manqué, à mon avis, c’est la prise de conscience rapide dans les pays riches que l’on vit dans un monde commun, un monde interdépendant et que pour s’en sortir, on doit travailler ensemble, s’appuyer sur la solidarité internationale, le multilatéralisme notamment le système des Nations Unies. Hélas, comme trop souvent, c’est le réflexe nationaliste de « s’occuper seulement de soi » qui s’est dans premier temps révélé le plus fort.
Pour réduire ces inégalités, il faut mettre la justice et la solidarité au cœur des réponses globales face aux grands enjeux tels que la pandémie. Très concrètement, cela veut dire de faire en sorte que les pays les plus vulnérables accèdent à des moyens financiers (subventions, annulation de dettes, prêts à taux réduits) qui leur permettent de faire face aux conséquences économiques de la COVID-19, de soutenir les entreprises locales, de financer la vaccination ou encore de soutenir ceux qui travaillent en première ligne pour répondre à la pandémie. Le partage de doses de vaccins aux pays, comme la France l’a fait à l’initiative du Président de la République Emmanuel Macron, est aussi une réponse rapide, forte et efficace. Notre pays a ainsi déjà partagé 120 millions de doses au bénéfice des pays les plus pauvres et nous finançons en parallèle la production de vaccins sur le continent africain. On a commencé à le faire au Sénégal, au Rwanda et en Afrique du Sud et nous continuerons.
Vous avez justement porté le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Pouvez-vous nous rappeler les enjeux et pourquoi était-il important pour la France de faire ce pas en avant ?
Entre 2007 et 2017, on a vécu en France une décennie un peu perdue en ce qui concerne la solidarité internationale : les moyens alloués n’ont fait que diminuer alors qu’on voyait bien qu’il y avait au contraire un besoin croissant de solidarité internationale.
L’enjeu de cette loi était de faire prendre conscience que pour répondre aux grands enjeux mondiaux tels que la réduction de l’extrême pauvreté, les inégalités et le changement climatique, c’était avant tout une œuvre collective et qu’il fallait que la France prenne sa juste part dans ce combat en se basant sur le multilatéralisme. En 2017, Emmanuel Macron a pris l’engagement d’augmenter les moyens dédiés à l’aide publique au développement (APD) et on a assumé que pour répondre à toutes les problématiques communes que je citais plus haut il fallait renouveler radicalement la vision, changer la manière de faire et définir de nouvelles priorités. Quand Emmanuel Macron est devenu Président, il m’a confié une mission parlementaire sur la modernisation de la politique française d’aide au développement et je lui ai rendu en 2018 un rapport contenant 36 propositions. Ce rapport a ouvert la voie à la loi que vous mentionnez. On avait au moins 4 objectifs avec cette loi sans précédent en France et sans équivalent dans le monde.
Premièrement, avoir une stratégie claire et à long terme pour répondre collectivement aux défis identifiés comme prioritaires dès 2017 : la santé, le climat, l’éducation, l’égalité femmes-hommes, les pays en crise. Sur tous ces sujets, que l’on soit à Paris ou New-Dehli, sur les bords du lac Ontario ou sur les rives du fleuve Congo, nos destins sont liés.
Deuxièmement, agir avec beaucoup plus d’impact et de transparence dans nos actions et nos financements d’aide au développement. Il faut vraiment arrêter d’avoir des discours basés uniquement sur des montants financiers, des dépenses en millions ou milliards d’euros qui d’ailleurs ne veulent pas dire grand-choses s’ils ne sont pas mis en perspective. Pour vous donner un exemple : il ne faut plus se concentrer sur les sommes finales que l’on doit allouer chaque année à des programmes en faveur de l’éducation, notamment des jeunes filles mais que l’on mette toute notre énergie à améliorer le taux d’alphabétisation de ces jeunes filles. (Atteindre cet objectif passera évidemment par une augmentation du budget de l’éducation, mais tout autant par des innovations dans la manière d’enseigner, le déploiement de bus scolaires et les routes nécessaires ou encore la mise à disposition à l’école de kits d’hygiènes et de santé (médicaments contre les maladies qui augmentent l’absentéisme). L’exemple nous montre qu’il faut donc partir du résultat espéré (dans ce cas : augmenter le taux d’alphabétisation) et voir quelles politiques publiques doivent être déployées pour y arriver et non comme trop souvent actuellement déterminer un montant de dépenses et voir ensuite quels projets financer).
Au cœur de cette loi, il y a donc la question de l’efficacité, des résultats obtenus et de l’impact sur le terrain. Et ça, c’est un changement essentiel par rapport à avant. Et bien évidemment il faut améliorer en parallèle la transparence car le devoir des décideurs politiques c’est de dire aux Français, parce que c’est de l’argent public français ou européen, à quoi sert cet argent destiné à l’APD.
Le troisième objectif de la loi, c’est de mobiliser toute la société. La question de la solidarité internationale a été portée très fortement depuis des dizaines d’années par des militants : des organisations comme Global Citizen, des organisations non gouvernementales (ONG), des citoyens qui considèrent que c’est immoral, illogique et même contre nos propres intérêts de laisser une partie de la population sans eau, sans électricité [et] sans accès aux vaccins. Il faut que tout le monde puisse s’emparer de cette question et qu’on donne moyens d’agir à toutes les catégories de la population où qu’elle se trouve.
Le quatrième point de la loi, c’est de donner de la visibilité et de la prévisibilité sur la question budgétaire et financière. C’est pour cela qu’il s’agit d’une véritable une loi de programmation car on augmente de manière massive et durable le budget de l’APD. En 2022, on arrivera à une augmentation totale de 5 milliards d’euros en cinq ans, soit une hausse moyenne de 1 milliard d’euros par an et surtout une augmentation de 35 % par rapport au précédent quinquennat. Cela signifie que la promesse qu’on avait prise en 2017 d’atteindre les 0,55 % du revenu national brut (RNB) consacré à l’APD sera tenue cette année et que, pour la première fois, la France va se donner les moyens d’atteindre le fameux 0,7 % du RNB en 2025. Cela fait 50 ans que la France devait réaliser cette promesse et nous sommes désormais, grâce, à l’implication de tous, sur la bonne voie.
En quoi votre histoire personnelle a été un vecteur de motivation pour votre carrière ?
Je suis né au Rwanda et cela m’a, en quelque sorte, naturellement amené à m’intéresser à ce pays qui paraît lointain depuis la Bretagne, où j’ai grandi. Le Rwanda, comme vous le savez, qui a été le théâtre du dernier génocide du XXIème siècle et a donc une histoire tragique. Cette histoire, au-delà de l’avoir vécue car j’ai été adopté par une famille française au tout début du génocide, elle m’a été par la suite racontée, expliquée. J’ai petit à petit pris conscience de la brutalité et de la violence inouïe dont avait été victime les Tutsi (ethnie minoritaire au Rwanda) et j’ai très rapidement réalisé qu’on ne pouvait, et surtout qu’on ne devait ignorer ni ce qui se passait à l’autre bout de la planète ni ce qui passait de l’autre côté de notre fenêtre. Ce sont les deux faces de la même pièce et tirer les conséquences de cette réalité, cette nécessité, est la seule façon d’avoir une action collective qui soit cohérente, efficace et qui produit des résultats concrets dans la vie des gens. C’est à partir de ce constat, de cette volonté d’agir pour l’intérêt général que j’ai eu en tête de faire de la solidarité internationale le moteur de mes études puis de ma carrière. Vous le voyez, être né dans un pays pauvre m’a donné vraisemblablement amené à développer une appétence particulière pour ces enjeux de coopération, d’aide au développement, de solidarité mais il n’y rien de tracé, aucun parcours écrit à l’avance.
Vous avez un parcours impressionnant par rapport à votre jeune âge. Pourquoi, selon vous, est-il important que les plus jeunes se joignent à des causes telles que la solidarité internationale et comment les jeunes peuvent-ils s’impliquer davantage ?
Dans le cadre de la modernisation de notre politique de solidarité internationale, il faut absolument que les jeunes, que ce soit en France ou dans d’autres pays, soient les bénéficiaires principaux de ces politiques, mais surtout les premiers acteurs.
Pour moi, ils doivent être au cœur de la transformation de cette politique. Il faut donner aux jeunes en France et dans nos pays partenaires, notamment en Afrique, les bons leviers, les outils adaptés pour transformer leur territoire, la planète, leur quotidien. L’ambition est claire : quels que soient le lieu de naissance, le code postal, le diplôme chaque jeune doit pouvoir avoir accès à des financements, des dispositifs, des accompagnements qui lui permette participer à cette marche collective.
Les encourager à continuer de manifester, de s’indigner, d’interpeller les responsables politiques, c’est bien. Leur donner les moyens en même temps de s’engager et au fond de construire cette politique, c’est mieux. On doit donc avoir une représentation importante des jeunes pour qu’ils puissent à la fois prendre part aux débats, contribuer à la réflexion et, ensuite, passer à l’action.
Tout le monde doit désormais comprendre que les jeunesses ne sont pas un supplément d’âme pour nos politiques de solidarité mais le cœur battant de nos actions.
La France s’est illustrée en demandant la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins. Elle est aussi la deuxième plus grande donatrice de vaccins à COVAX. Néanmoins, cette demande a été bloquée par de nombreux pays. La loi du profit l’a-t-elle emporté face à la solidarité internationale et que peuvent faire les États face à cela ?
La question de la propriété est un débat qui malheureusement prend trop de temps et qui est coincé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est un sujet pourtant clé dans la capacité à fournir des vaccins à tout le monde, mais il faut aussi reconnaître que même si, demain, on levait tous les brevets, il n’y aurait pas la capacité immédiate, partout dans le monde, de pouvoir produire des vaccins.
Dans l’immédiat, il faut distribuer des vaccins parce qu’on ne peut pas attendre quand on a une pandémie qui continu de se propager et de se transformer, comme on l’a récemment vu avec le variant Omicron. À travers l’initiative COVAX, la France est passée de 60 à 120 millions de doses partagées ce qui proportionnellement à sa population, faisant de notre pays le premier donateur de vaccins dans le monde.
Dans le moyen terme, et c’est ce que l’on est en train de faire en Afrique du Sud, au Sénégal et au Rwanda, il faut financer des partenariats entre des laboratoires européens, américains, ou même indiens et africains, pour monter des usines de fabrication de vaccins. Il faut aussi l’expertise humaine et technique, parce qu’il faut avoir bien évidemment des gens qui sont sur les lignes de production des vaccins. C’esttoute la question cruciale du transfert rapide de compétences.
Enfin, à long terme, il faut travailler sur la question de la levée des brevets car la loi du profit, comme vous le dites, qui renvoie en vérité à la question des modèles économiques et de la refonte du capitalisme, doit être constamment réinterrogée. Les États ne sont pas démunis face aux grands groupes et ont des armes législatives ou fiscales, mais, comme souvent, il faut du temps pour créer un consensus international. Du chemin a été quand même été parcouru en deux ans car une grande majorité des pays est désormais d’accord pour avancer sur la levée des brevets. Il faut le faire, mais avec méthode et sans tomber dans la caricature, car c’est aussi grâce (mais pas que) à la créativité de ces grandes entreprises, à leur puissance d’investissement et à leur recherche et développement lancées il y a des années voire des décennies que l’on a pu trouver des vaccins aussi vite.
La France s’est unie aux côtés des dirigeants africains pour demander une redistribution des droits de tirage spéciaux (DTS) des pays riches vers l’Afrique afin de garantir une relance verte et équitable. Comment peut-on garantir cela et en quoi est-ce un vecteur de réduction des inégalités ?
Il faut reconnaître que là aussi on était dans une situation un peu absurde et assez illustrative des dysfonctionnements du système international. Pour résumer, le Fonds monétaire international (FMI) émet des droits de tirage spéciaux, c'est-à-dire qu’il donne aux pays des moyens financiers supplémentaires pour financer un plan de relance ou l’achat de vaccin. Il se trouve que cette distribution d’argent supplémentaire se fait en fonction de votre capacité financière. Pour le résumer simplement : plus vous êtes riches, plus vous pouvez obtenir des moyens supplémentaires.
Face à cela, le président Emmanuel Macron a demandé à l’unisson des dirigeants du continent africain à redistribuer ces droits de tirage spéciaux, cet argent supplémentaire disponible en faveur des pays les plus pauvres. La proposition paraît logique et simple, mais en fait, est une vraie révolution par rapport aux usages habituels et assez complexes techniquement à mettre en œuvre. La France a pris le leadership de ce combat car il paraissait inconcevable que notre pays, et en général, les Occidentaux, qui ont moins besoin de ces financements additionnels, se taillent la part du lion. Avec cette redistribution, les pays africains vont pour pouvoir investir à hauteur de 100 milliards d’euros dans l’urgence et la relance.
L’urgence, c’est faire des transferts d’argent vers les plus vulnérables afin qu’ils puissent subvenir aux besoins de leurs familles et ne pas tomber dans l’extrême pauvreté. C’est quelque chose qui a été fait par le gouvernement du Togo au tout début de la pandémie de COVID-19 et qui a fait la preuve de son efficacité.
La relance équitable et durable c’est investir dans l’éducation, parce que c’est aujourd’hui que les inégalités de demain se construisent. On sait que des millions d’enfants pourraient ne jamais retourner à l’école et nous devons à tout prix éviter cela.
On pourrait également imaginer qu’avec une partie des DTS combinés à une taxation sur les multinationales et une partie de l’APD, on se fixe comme objectif collectif ambitieux de garantir un revenu minimum, via des transferts d’argent, aux populations les plus vulnérables des quinze pays les plus pauvres au monde. L’idée serait de partir de cette réallocation inédite des DTS pour bâtir le début, certes imparfait, d’un système global de redistribution où plus personne ne recevrait moins de 2 dollars par jour. C’est un rêve peut-être, un vœu pieux sans doute, mais ça me paraît indubitablement réalisable.
Les pays africains étant les plus vulnérables aux changements climatiques, quel rôle les pays riches doivent-ils jouer pour alléger leur dette et leur permettre de financer leur transition écologique ?
Les pays les plus pauvres et les plus vulnérables ne sont pas responsables mais sont les premières victimes du changement climatique. Il serait injuste de leur demander de porter intégralement le poids et le coût financier de cette transition écologique. C’est là où cet impératif de solidarité internationale trouve encore une fois tout son sens et prouve qu’un système de redistribution à l’échelle mondiale est nécessaire.
Le changement climatique que l’on connaît est d’abord la conséquence de l’industrialisation des pays occidentaux, industrialisation qui indéniablement a permis une amélioration de la vie quotidienne des gens.
Le rôle des pays riches est d’abord de réduire leur empreinte carbone, car un habitant du continent nord-américain produit bien plus de CO2 qu’un habitant du continent africain. Ensuite la priorité c’est d’accompagner le financement massif et rapide en faveur de l’adaptation au changement climatique. Il faut investir massivement dans la reforestation, la grande muraille verte, l’adaptation des infrastructures telles que les écoles et les hôpitaux à l’intensification des catastrophes naturelles. Il faut mettre le paquet, parce que ce sont en général les populations les plus défavorisées qui sont en première ligne de l’accélération des dérèglements climatiques. Sur ce combat crucial de l’adaptation au changement climatique, nous devons donc sonner la mobilisation générale chez nous, dans les enceintes internationales, pendant les COP.
Enfin, l’efficacité de la contribution des pays riches ne peut réellement être efficace, ou du moins avoir un impact, que s’il y a une augmentation par les pays partenaires de leurs propres financements pour le climat, la biodiversité, la transition énergétique.