Les lauréats du prix Nobel d’économie 2019 ont contribué à transformer la manière dont la pauvreté est combattue dans le monde.
Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer ont apporté une rigueur analytique dans le domaine de la lutte contre la pauvreté afin de trouver les interventions les plus efficaces. Ils ont abordé diverses questions, notamment les vaccins, l’assiduité et la performance scolaire et les transferts monétaires, en menant des expériences sur le terrain, qui se font en étudiant les effets d’une variable spécifique sur les personnes dans leur environnement quotidien, tout en tenant compte des facteurs externes. Ce faisant, ils ont aidé les gouvernements et les organismes sans but lucratif à mieux aider les collectivités vulnérables.
Plus de 736 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour. On estime que 821,6 millions de personnes souffrent de faim chronique, 785 millions de personnes n’ont pas un accès régulier à l’eau potable et plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à un système sanitaire sûr. Des centaines de millions d’enfants, quant à eux, ne peuvent pas aller à l’école à cause des conflits, des catastrophes naturelles, de la pauvreté et d’autres causes.
Faites le quiz : Mettre un terme à l’extrême pauvreté est un rêve réaliste. Mais comment y arriverons-nous ?
Le cadre conceptuel élaboré par les trois lauréats du prix Nobel a joué un rôle déterminant dans la réalisation de progrès sur ces problèmes importants et complexes.
Dans les années à venir, les équipes chargées du développement continueront à utiliser leur modèle d’expérience sur le terrain pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies afin d’éradiquer l’extrême pauvreté, la famine et donner un accès universel à une eau propre et à des soins de santé.
L’utilité de leurs travaux témoigne des découvertes solides qu’ils ont faites au fil des ans.
Voici quatre des enseignements tirés des travaux de M. Banerjee, Mme Duflo et M. Kremer.
Copyright © Nobel Media 2019. Illustration: Niklas Elmehed
1. Il faut adapter les interventions aux conditions locales.
Au milieu des années 1990, M. Kremer voulait savoir comment améliorer les résultats scolaires dans les régions rurales du Kenya. Son équipe a mis au point une expérience sur le terrain pour vérifier si l’accès aux manuels scolaires ou aux repas scolaires avait un effet plus important sur le rendement des élèves.
Après avoir tenu compte de facteurs tels que la disparité des richesses et la qualité des écoles, ils ont distribué soit des manuels scolaires, soit des repas dans différentes écoles. Ils ont finalement constaté que ni l’une ni l’autre de ces interventions n’avait beaucoup d’impact sur le rendement des élèves faibles, non pas parce qu’il s’agissait de mauvaises interventions, mais parce qu’il y avait un problème structurel dans les écoles.
Les enseignants étaient souvent mal formés ou recevaient peu de soutien. Par conséquent, d’autres interventions seraient inefficaces si les enseignants ne recevaient pas d’abord l’aide dont ils avaient besoin. L’équipe de M. Kremer a ensuite montré que les résultats des élèves les plus faibles pouvaient être améliorés en fournissant des aides pédagogiques professionnelles.
Cette étude a montré que les approches uniques concernant la pauvreté doivent être abandonnées au profit d’interventions adaptées aux conditions locales.
Mme Duflo et M. Banerjee ont par la suite développé cette recherche en étudiant l’effet des tuteurs sur les étudiants en difficulté dans deux villes indiennes et ont constaté que cette aide spéciale avait considérablement amélioré les performances.
2. Il faut combattre les causes profondes, pas les symptômes.
M. Kremer a fait d’autres recherches sur les performances scolaires des élèves au Kenya en 1998 et 1999. Cette fois, son équipe s’est concentrée sur les interventions sanitaires. Ils voulaient savoir si le traitement des enfants contre les vers parasites et l’administration de médicaments préventifs auraient un impact sur l’apprentissage.
Comme on pouvait s’y attendre, l’absentéisme des élèves a diminué et leurs résultats et leur participation se sont améliorés après la prise de médicaments.
Les vers parasites sont un problème de santé omniprésent. Les personnes infectées éprouvent de la fatigue, une perte de poids, une perte nutritionnelle, des douleurs abdominales, des problèmes intestinaux et plus encore.
Si les dirigeants avaient simplement alloué davantage de ressources aux écoles pour des projets comme la commande de repas nutritifs et de manuels scolaires, les performances n’auraient peut-être pas été meilleures. En se concentrant plutôt sur les vers, les chercheurs ont pu libérer les élèves d’un problème de santé dévastateur qui a une incidence sur leur capacité d’étudier et de conserver les connaissances.
Cette étude a depuis influencé les décideurs politiques et les organisations à but non lucratif dans le monde entier, faisant du traitement des vers l’une des interventions les plus populaires au monde.
3. Les programmes d’aide sociale ne rendent pas les gens paresseux.
Les programmes d’aide sociale ont longtemps été vilipendés pour leurs effets prétendument négatifs sur les populations. Bien que ces arguments aient toujours été fallacieux, M. Banerjee et une équipe de chercheurs les ont définitivement démystifiés.
Les chercheurs ont examiné de nombreux programmes de transferts conditionnels en espèces — lorsque les gens reçoivent de l’argent en échange de l’inscription d’enfants à l’école, par exemple — dans différents pays et ont constaté qu’aucun d’eux n’avait un impact négatif sur l’emploi et les niveaux de productivité. Au contraire, certains de ces programmes ont en fait stimulé l’emploi et la productivité.
Ces programmes augmentent également les taux d’éducation, rendent autonomes les femmes, améliorent les résultats en matière de santé, ainsi que les niveaux de bien-être général et rendent les personnes plus entreprenantes.
4. Des interventions à court terme peuvent avoir des résultats sur le long terme.
M. Kremer, Mme Duflo et M. Banerjee ont longuement étudié comment les personnes retardent souvent les investissements qui rapportent des bénéfices futurs — un phénomène connu sous le nom de « biais de statu quo ».
Par exemple, les chercheurs ont étudié comment ont réagi les petits exploitants agricoles d’Afrique subsaharienne lorsqu’ils ont été offerts des subventions pour des engrais artificiels qui amélioreraient considérablement leur récolte.
Ils ont constaté que si la subvention était permanente, les agriculteurs retarderaient la décision, renonçant ainsi aux avantages futurs. Si la subvention était temporaire — si elle devait être utilisée immédiatement — les agriculteurs seraient beaucoup plus susceptibles de faire l’investissement et d’en récolter les bénéfices. En rendant la subvention temporaire, les chercheurs ont transformé un avantage perçu comme lointain en avantage immédiat.
Les chercheurs ont constaté des effets similaires avec les vaccins. Lorsqu’on a offert à une communauté des vaccins subventionnés contre les vers parasitaires, seulement 18 % des gens ont profité de l’intervention qui protégerait leur santé. Lorsque les vaccins subventionnés ont été jumelés à un sac gratuit de lentilles, le nombre de vaccinations a doublé. Lorsque les vaccins ont été rendus gratuits, les vaccinations ont plus que quadruplé.
Bien que M. Kremer, Mme Duflo et M. Banerjee aient rendu l’intervention contre la pauvreté plus analytique, les conséquences de leur travail ont été profondément humanisantes.
Offrir aux étudiants des réseaux de soutien, donner de l’argent aux familles pour leurs besoins domestiques, débarrasser les communautés de maladies terribles — toutes ces interventions partagent une profonde préoccupation pour le bien-être des personnes marginalisées.
Comme leurs recherches l’ont montré à maintes reprises, les gens s’épanouiront si vous leur donnez une chance.