Mon histoire : Excisée à l’âge de 9 ans, j’ai dédié ma vie à la lutte contre les mutilations génitales féminines

Léa Tardat

Pourquoi les Global Citizens doivent-ils s'en préoccuper ?
Global Citizen est fermement engagé pour la réalisation des Objectifs mondiaux des Nations Unies, y compris l’Objectif n°5 pour l’égalité de genre. Tant que des pratiques néfastes, telle que la mutilation génitale féminine, subsistent, nous ne parviendrons ni à garantir un monde où les femmes et les filles sont égales, ni à mettre fin à l’extrême pauvreté. Vous pouvez vous mobiliser en rejoignant le mouvement et en passant à l’action ici.

Selon les Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), près de 200 millions de femmes et filles à travers la planète subissent encore des formes de mutilation génitale féminine telles que l’excision.

Ces pratiques néfastes, qui laissent de lourdes séquelles psychologiques et physiques, nous privent aussi d’un monde où les femmes et les filles jouissent d’un droit à disposer de leur propre corps.

Marie-Claire Moraldo, qui a elle-même souffert d’excision dans son enfance en Côte d’Ivoire, a dédié sa vie à l’éradication de cette pratique en créant le centre les Orchidées Rougesà Bordeaux, en France. Elle nous raconte aujourd’hui son histoire en revenant sur son parcours bouleversant et les raisons de son engagement en tant qu’activiste.


J’ai été élevée par mes grands-parents maternels dans le nord de la Côte d’Ivoire. Quand j’étais petite, dans la maison où j’ai grandi, on n’avait ni eau courante, ni électricité. J’ai appris qu’il fallait se battre pour obtenir ce qu’on veut et j’ai appris à donner un sens à tous les événements de ma vie. 

Mon grand-père me répétait : « Ton premier mari, ce sont tes études ». Il voulait que je sois autonome. Mes deux modèles étaient ma mère et ma grand-mère, qui étaient des femmes très indépendantes. 

Ma mère était contre l’excision et elle avait interdit à ses parents de me la faire subir. Quand j’ai eu 9 ans, j’ai voulu me rapprocher de la famille de mon père. J’avais juste une photo de lui, je ne l’avais jamais vu. J’y suis allée pour les vacances scolaires, mais c’est surtout sa famille et notamment sa grande sœur qui s’occupaient de moi ; lui avait autre chose à faire.

C’est ainsi qu’un matin, elle est venue me chercher pour m’emmener à une fête. Lorsque nous sommes arrivées, il y avait des filles qui faisaient la queue devant une pièce, dans laquelle elles entraient à tour de rôle. Bizarrement, à chaque fois qu’une petite fille entrait dans la pièce, elle en ressortait en pleurant. J’ai dit à ma cousine : « C’est quand même bizarre, cette fête. Normalement, à une fête, on rigole, on danse, on mange, et là tout le monde pleure ». Elle n’a rien dit et on a continué à attendre. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait à l’intérieur.

Mon tour est arrivé, et je suis entrée dans la pièce. Elles étaient quatre à l’intérieur et je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qu’il se passait. Elles m’ont plaquée au sol et l’une d’entre elles m’a coupé mon clitoris.

Suite à cela, je suis simplement sortie sans explications ni soins ou traitements. Je n’avais aucune idée de ce que je venais de vivre, ni de l’impact que cela aurait sur ma vie de femme adulte. À la fin des vacances, lorsque je suis rentrée chez mes grands-parents, nous n’en avons pas parlé. J’ai juste entendu ma grand-mère maternelle jubiler parce que j’étais enfin excisée. 

Je n’en veux pas aux personnes qui m’ont fait cela, car je connais le poids des traditions et je sais qu’on ne peut se reconstruire dans la rancœur. 

Après ça, j’ai continué à grandir sans que cela change quoi que ce soit pour moi. J’en suis même arrivée à croire que c’était normal. Dans cette région, tout le monde excise : chrétiens, musulmans, animistes... toutes les filles autour de moi étaient excisées. C’est même le fait de ne pas être excisée qui ne semblait pas normal. Ma cousine, par exemple, a été excisée très tard et quand je la regardais nue, son clitoris me paraissait bizarre. Les traditions sont tellement fortes là-bas. Certaines jeunes filles demandaient même à être excisées pour être comme tout le monde !

C’est plus tard que j’en ai souffert. 

D’abord à l’adolescence, avec les campagnes de sensibilisation, j’ai entendu parler des conséquences graves que cela pouvait avoir. J’ai commencé à m’inquiéter, à me demander si je pourrais un jour avoir un mari, un enfant ou une vie sexuelle normale. 




Mais c’est surtout en 2002, quand j’ai quitté ma sous-préfecture pour aller étudier à Abidjan que ça a été dur. L’excision ne fait pas partie des traditions des peuples du sud de la Côte d’Ivoire. Sachant que je venais du nord, on me faisait des réflexions du type : « J’espère que t’es pas excisée, quand-même ! ». Pour la première fois, j’ai compris que ce n’était pas normal. J’ai commencé à avoir honte, à mentir pour ne pas que mes amies le sachent. Cela a été très violent. D’autant plus qu’il y a beaucoup d’idées reçues qui circulent sur les femmes excisées. J’avais l’impression que personne ne voudrait de moi.

Après l’obtention de mon brevet technicien supérieur (BTS) en 2005, j’ai été obligée de quitter la Côte d’Ivoire pour le Sénégal à cause d’une grave crise politique. J’ai travaillé en tant qu’attachée commerciale au Sénégal, puis, pour des raisons personnelles, je me suis installée à Marseille en janvier 2007. J’y ai obtenu mon master en management à la Kedge Business School.

J’étais dans un mal-être profond, je souffrais beaucoup de l’excision subie dans mon enfance. Cela avait un impact dans ma relation avec moi-même, les autres et notamment avec les hommes. 

En juillet 2015, j’ai décidé de m’installer à Bordeaux car mon cœur me disait de changer de milieu de vie. 

Au cours de l’été 2016, je suis partie en vacances au Sénégal où j’ai rencontré un homme qui est tombé fou amoureux de moi. Il me plaisait aussi, mais j’avais l’impression que son amour reposait sur quelque chose de faux puisqu’il ne savait pas que j’étais excisée. J’avais peur de le lui dire, mais je ne voulais pas non plus mentir ; alors j’ai préféré refuser d’avoir une relation avec lui. Parce que j’étais sûre qu’en l’apprenant, il me rejetterait.

C’est à cette époque que j’ai commencé à me poser la question de me reconstruire. J’en avais marre de cette angoisse, je voulais m’en libérer. Je voulais être en phase avec moi-même, pouvoir vivre une histoire d’amour pleinement, sans avoir peur, en me considérant comme une femme entière, qui mérite d’être respectée et aimée. Parce qu’au fond, je ne me pensais pas digne d’un tel amour. J’avais beau être très coquette, porter des vêtements sexy, à l’époque, je n’avais pas l’impression d’être une « vraie » femme. 




En rentrant en France, j’ai donc pris rendez-vous pour me faire opérer à Paris. J’ai été réparée le 7 décembre 2016. C’est pour moi ma deuxième date de naissance car c’est la date à laquelle je me suis réconciliée avec moi-même et avec les autres. 

Aujourd’hui, je me sens comme une femme à part entière car j’ai enfin récupéré la partie de moi qu’on m’a enlevée à l’âge de 9 ans.

Le bien-être incommensurable que cette reconstruction m’a apporté m’a donné envie de partager mon expérience avec d’autres femmes. 

C’est ainsi que j’ai créé l’association les Orchidées Rouges en mars 2017, car je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je suis engagée corps et âme dans le militantisme pour éradiquer l’excision. C’est pour moi une mission de vie. 

Avec mon association, j’agis en France et en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. 



Nos différents axes d’action incluent la prévention et la sensibilisation contre les mutilations sexuelles féminines et le mariage forcé, l’accompagnement holistique des femmes dans la reconstruction psychologique et physique, la formation des professionnels de santé, la (ré-)insertion professionnelle et sociale, ainsi que la reconversion des exciseuses.

Nous avons ouvert le 7 septembre dans le quartier de Saint-Seurin à Bordeaux, la première unité de soins régionale spécialisée dans la prise en charge holistique des victimes d’excision et de mariage forcé.

Depuis, nous avons réuni, en un seul lieu, différents professionnels, formés à la prise en charge socio-thérapeutique des victimes d’excision (gynécologues, chirurgiens, médecins généralistes, sexologues, psychologues, thérapeutes psychosociaux, travailleurs sociaux, avocats, juristes, ostéopathes, psychomotriciennes, professionnels du bien-être et de l’insertion professionnelle, etc.). Nous organisons des groupes de parole, des ateliers d’art-thérapie, de socio-esthétique, de danse thérapeutique, de yoga et de sophrologie.


Depuis la création de mon association, j’ai obtenu le Prix de l’Initiative de la ville de Bordeaux, la Médaille de la ville de Bordeaux et un Global Woman Award à Washington pour les actions que je mène contre l’excision et le mariage forcé.

Aujourd’hui, je suis une compagne et une mère épanouie. J’aimerais dire à toutes les personnes victimes d’excision ou d’autres types de violence dans le monde qu’il n’y a pas de fatalité. J’aimerais leur dire qu’elles peuvent s’en sortir, leur dire de donner un sens à ce qu’elles ont vécu de difficile dans leur vie, car elles doivent s’appuyer sur ces expériences douloureuses pour construire une vie heureuse qui correspond à leurs aspirations les plus profondes. Il faut qu’elles s’affranchissent des opinions des autres et du poids des traditions pour pouvoir construire une vie dans laquelle elles seront épanouies. Les violences qu’elles ont vécues et les évènements douloureux ne doivent pas avoir le dernier mot sur leur vie.

« L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous. » — Jean-Paul Sartre