Maïmouna Ba est l'une des lauréates du Sommet des jeunes activistes 2023.


Le Burkina Faso, mon pays, est un pays de l'Afrique de l'Ouest. Nous avons été colonisés par la France et c'est pourquoi on est francophone. Chaque région a une nomination, celle où j’ai grandi est nommée Sahel. La capitale de cette région, Dori, est une petite ville au niveau de la frontière entre le Burkina et le Niger. C'est là que je suis née et que j'ai grandi. C'est là aussi que j'ai vécu la majeure partie de ma vie.

Je suis née dans une famille qui n'avait pas du tout de revenus. Je suis allée à l'école par pur miracle. À l'époque, mon papa allait chaque soir à la mosquée. Il était déjà très âgé, aveugle et n'avait aucune source de revenus. C'était un grand érudit musulman, il a étudié le Coran et est devenu hafiz avant 23 ans. Quand il allait à la mosquée partager cette science, des gens lui donnaient quelques sous et c’est de ces sous-là que nous vivions. Ma maman a vendu trois de ses fringues qu'elle avait reçu comme cadeau de ma sœur qui revenait de Côte d'Ivoire pour nous envoyer à l'école, mes deux sœurs et moi.

Actuellement, il y a énormément de conflits qui se sont propagés au Burkina Faso, notamment l'extrémisme violent. Une grande partie du pays est sous le contrôle des groupes armés : 26 communes du Sahel sont sous blocus, sauf quatre à six communes où les gens peuvent se rendre, mais par vols humanitaires ou militaires. Le bilan fait état de plus de 4 000 écoles fermées. Les gens ont fui leur zone d'origine et se sont installés dans des zones plus ou moins stables parce que les groupes armés demandent [aux civils] de quitter la zone, donc ces personnes laissent tout derrière elles pour s’installer dans les centres urbains plus ou moins stables. Les gens s'installent donc par centaines de milliers et se retrouvent totalement démunis.

C’est pourquoi, avec des camarades, j’ai mis en place l'association Femmes pour la dignité du Sahel. Nos objectifs étaient vastes, parce que nous englobions toutes les femmes qui ont vécu dans cette zone-là, dans les mêmes réalités que nous, et pour qui l'école n'était pas forcément évidente. Il y avait plusieurs défis à relever, notamment le défi de l'éducation, de l'autonomisation économique, de la lutte contre les violences basées sur le genre, de l'engagement, du leadership, ainsi que le défi de parvenir à reconstruire une certaine paix et une certaine cohésion sociale entre les communautés.

Malheureusement, l'espace civique se porte de plus en plus mal au Burkina. Il y a certaines libertés d'expression qui sont bâillonnées jusqu'à l'extrême. Nous, on n’est pas confronté aux autorités parce qu'il y en a qui sont, par exemple, des militants politiques et d'autres qui sont dans les domaines qui les exposent plus. Les différents domaines qu'on aborde ne sont pas en porte à faux avec les intérêts de l'État, donc on n'est pas directement exposé à ce genre de choses, mais nombre d'activistes sont bâillonnés dans leur liberté d'expression et beaucoup d'organisations n’arrivent pas à travailler.

Pour pouvoir protéger l'espace civique, il faut que les gens sachent d'abord quels sont leurs droits. Pour cette raison, nous avons lancé un projet nommé « Promotion des droits humains et de l'espace civique au Sahel par des femmes ». Ce projet, né en décembre 2022, cible des femmes qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école.

À l'école, on peut aller sur internet chercher certains termes, participer à certaines formations. Mais ces femmes, quelque part perdues dans leur village, en train de s'occuper de leur quotidien, elles n'ont pas de notions sur les droits humains et n'importe qui peut abuser d’elles. Notre cible, c'est les femmes déplacées internes, les femmes rurales et les militantes dans les organisations de société civile. Il faut qu'elles arrivent à être elles-mêmes les gardiennes de cet espace civique, parce que quand on en connaît l'histoire, quand on comprend bien ce qui [le constitue], l'engagement pour le protéger va de soi. Ces femmes-là, pour la plupart, n'ont jamais entendu parler des droits humains ni des mécanismes qui existent pour les protéger. Nous allons donc recueillir leurs témoignages pour les aider à mieux avancer et dans la protection de leurs droits et dans les recours en cas de violation.

En parallèle, à travers notre objectif d'éduquer les enfants, nous avons initié un projet qu'on appelle « Un enfant, un parrain » pour accueillir les enfants orphelins déplacés dans cette zone. Nous avons pu trouver des volontaires qui s'engagent à soutenir matériellement et psychologiquement un enfant pour qu'il aille à l'école, qu'il ait un minimum de garanties, qu’il mange au moins une fois par jour et bien plus encore.

Comme ce sont des engagements individuels, ils ne peuvent ne pas être durables puisque les participants peuvent changer d'avis. On s'est donc dit que ce serait intéressant de parvenir à offrir des sources de revenus aux mères pour qu’elles puissent les prendre en charge. Ces femmes n'ont pas de compétences ou de diplômes, mais elles ont des savoir-faire qui peuvent être valorisés et mis au profit de leur autonomisation économique. Donc nous avons créé un programme pour renforcer leurs capacités et leur permettre d'adapter ce qu'elles savent déjà faire dans le domaine de la poterie, de la vannerie, de la coiffure, du perlage ou de la broderie à la main, aux besoins des populations de la ville. Nous avons voulu mobiliser un minimum de ressources pour aider celles qui veulent pratiquer l'élevage, parce que notre zone est une zone d'élevage par excellence.

En 2020, nous avons fait une campagne de collecte de fonds basée sur une technique traditionnelle de relèvement économique. Autrefois, on avait ce qu'on appelait la vache « haɓɓanaye » qu'on offrait aux femmes en difficulté. La communauté aidait à nourrir la vache jusqu’à ce qu’elle mette bas et que le petit soit suffisamment autonome pour vivre de lui-même. La femme avait alors la responsabilité de passer la vache à une autre personne dans le besoin afin de pouvoir poursuivre la chaîne de solidarité. Avec une méthode similaire, on a donc acheté des chèvres qu’on a données à certaines mamans. On n’avait pas besoin que les gens donnent beaucoup. On s'est dit que donner beaucoup, ça pouvait paraître énorme, mais si chacun donnait 500 francs (0,83 dollars américains), on pourrait réunir au moins un montant important pour aider ces femmes à se lancer dans l’élevage. On n'a pas pu couvrir tout le montant et tout le monde, mais on espère qu'avec le temps, les autres aussi pourront bénéficier des chèvres et se relever économiquement.

À part cela, chaque année, l'un de nos grands défis, nous, les femmes qui ne sommes pas des déplacées internes, mais qui avons un certain niveau d'instruction, c'était vraiment l'engagement communautaire et le leadership. Quand je parle de leadership, je ne parle pas de position hiérarchique, mais de la volonté de servir des causes communautaires. Le but est que notre œuvre se pérennise, de créer une génération de jeunes femmes qui vont continuer à se battre pour l'idéal pour lequel on s'est levée. Donc, chaque année, on met en œuvre un programme de promotion de leadership des jeunes filles en milieu scolaire. C’est une initiative qui réunit des jeunes et les met dans un environnement où elles peuvent s’instruire en management, découvrir des personnes qui se sont engagées, pour servir de feuille de route pour les actions qu'elles veulent entreprendre pour leur communauté. 

Enfin, pour lutter contre la destruction de la faune et de la flore causée par les déplacements massifs de population, on a lancé le programme « Un arbre, un enfant ». Pour chaque enfant déplacé interne, on offre un arbre que nous mettons sous sa responsabilité. Il plante l'arbre dans cette zone-là et l'entretient dans une approche qui vise à valoriser les efforts de ceux qui ont pu entretenir leur arbre jusqu'à ce qu’il grandisse. Ce travail a été bien vu et valorisé au niveau des Nations Unies, qui choisissent chaque année cinq jeunes et récompensent pour le travail qu'ils font au sein de leur communauté dans le cadre du Sommet des jeunes activistes. Cette année, le thème portait sur la paix et de la réconciliation et j'ai eu l'honneur d'être aux Nations Unies à Genève.

« [Un] rêve que je nourris, c'est que l'on parvienne aussi, en tant que femmes, à réaliser que nous sommes celles qui sont le plus aptes à réconcilier les cœurs dans la communauté. »
Image: Courtesy of Maimouna Ba

Aujourd’hui, mon plus grand défi, c'est l'engagement de mes camarades. J’ai envie qu’ils aient le même niveau de motivation que moi, mais quand on est une jeune femme instruite, il arrive un moment où on souhaite gagner de l'argent, ce qui est tout à fait légitime. On n'est pas en mesure d'offrir cette sécurité, donc les gens partent et ne militent pas forcément. Vous faites des programmes magnifiques, mais vous vous retrouvez seule à devoir faire des sacrifices pour que les choses marchent. 

Si j'avais le pouvoir de changer une seule chose, je ferais en sorte que les enfants victimes de guerre aient accès à une bonne éducation et un espace qui les protège et les aide à la paix. Parmi eux, il y a des enfants qui ont vu leurs parents être assassinés sous leurs yeux. Ces enfants en portent toujours le traumatisme. Certains ont vu leurs parents être arrêtés de façon injuste et être emprisonnés et en portent toujours les séquelles. Quand j'entends sur le terrain des enfants me dire qu'ils veulent prendre les armes pour se battre contre l'État ou contre les groupes armés, ça me fend le cœur, parce que je me dis que l'enfant ne devrait pas penser à la violence. Un enfant ne devrait ni penser à faire la guerre ni à tuer. 

Le deuxième rêve que je nourris, c'est que l'on parvienne aussi, en tant que femmes, à réaliser que nous sommes celles qui sont le plus aptes à réconcilier les cœurs dans la communauté et qu'on se mette à l’oeuvre, parce que la solution des hommes, c'est les armes. Je pense que les femmes sont capables d'autres solutions que les armes ou d'autres alternatives que les armes pour reconstruire une communauté où la cohésion sociale est une réalité. Pour ça, naturellement, chacune de nous — les femmes qui sont originaires de ces zones et qui sont sur le terrain — devront mettre la main à la pâte. Donc, il faut vraiment gagner le combat de l'engagement des jeunes filles. C'est une urgence absolue. 

J'ai écrit un livre et le titre du livre, c'est Quelques pages de la vie d’une activiste. J’y raconte les aventures que j'évoquais avec les enfants que nous soutenons, toutes les souffrances que j'ai vécues avec ces enfants et tout ce que j’ai vu pendant les dernières années. Je mets en lumière comment les enfants sont affectés et l’urgence de déposer les armes. La clé, ce serait vraiment de nous aider à porter ce message très haut.


Propos recueillis par Sarah El Gharib ; cet article a été modifié pour des raisons de clarté et de longueur.

La série In My Own Words 2022 a été rendue possible grâce au financement de la Fondation Ford.

Note de l'édition : Une version antérieure de cet article comportait un lien incorrect vers le site Web de Femmes pour la dignité au Sahel. Le lien a été corrigé.

In My Own Words

Exiger l’équité

Pourquoi j’ai décidé de m’engager pour le changement social au Burkina Faso

Par Maïmouna Ba