Une attaque à l’arme à feu. En pleine rue. Au beau milieu d’une foule passante.
Alors qu’elles quittaient les bureaux de leur rédaction, trois femmes travaillant pour une chaîne de télévision locale sont assassinées dans deux attaques séparées à Jalalabad, dans le nord-est de l’Afghanistan, le 2 mars 2021.
Deux jours plus tard, une femme médecin est abattue dans l'explosion d'une bombe.
Avec elle, Mursal Wahidi, Sadia Sadat et Shahnaz Raofi sont les dernières victimes de la vague d'attaques ciblées en Afghanistan – une nation conservatrice qui peine, depuis longtemps, à aimer ses femmes et intégrer leurs droits.
Malgré la violence inédite contre la gent féminine dans cette république islamique, une femme tient tête aux talibans.
Lorsque ces fondamentalistes islamistes ont accédé au pouvoir en Afghanistan en 1996, fermant ainsi les les écoles, Habiba Sarabi s'est enfuie au Pakistan voisin avec ses enfants.
“J'ai commencé à retourner à Kaboul, en secret, à traverser les montagnes et à traverser la frontière en burqa afin de pouvoir aider à mettre en place un réseau souterrain d'écoles pour filles,” raconte la lauréate du prix Simone Veil de la République française 2021, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars.
La remise du #PrixSimoneVeil 2021 à Mme Habiba Sarabi est une magnifique reconnaissance du combat d’une vie pour le respect des droits humains de chaque Afghan – et de chaque Afghane. #internationalwomensday2021
— David Martinon (@david_martinon) March 8, 2021
Le prix distingue son courage, sa résilience ainsi que ses efforts oeuvrant pour l’égalité des sexes en Afghanistan et l’éducation des filles.
“Quand j'étais petite, j'ai grandi en Afghanistan dans les années 1960, tout ce que je voulais faire, c'était aller à l'école,” se souvient-elle. “C'était difficile parce que mon père ne s'intéressait pas à mon éducation. Mais je suis née têtue et déterminée. Je me suis rendue à l'école et j'ai enduré les railleries des garçons,” ajoute t-elle.
'Sans la participation des femmes, il n’y aura pas de paix durable'
Une véritable inspiration, Habiba Sarabi est aujourd’hui une femme politique, une militante pacifiste ainsi qu’une réformatrice dans la reconstruction de son pays, l'Afghanistan.
“Ce prix est véritablement le bienvenu car il ne fera que renforcer la résilience et le courage des femmes dans leur lutte pour leur droit à un avenir sûr,” dit-elle, en visio-conférence depuis Doha, où elle est l’une des rares femmes à négocier avec les talibans.
Habiba Sarabi est membre de la délégation républicaine pour les négociations de paix entre le gouvernement afghan et les talibans, qui ont commencé dans la capitale qatarie en septembre 2020.
“En dépit de tous les obstacles et en dépit du fait que notre société soit dominée par les hommes, en dépit des assassinats ciblés, les femmes ont maintenu tous leurs efforts pour permettre à nos communautés de vivre en paix,” souligne t-elle dans un français parfait.
Habiba Sarabi a été la première femme ministre en Afghanistan en charge de la condition féminine de 2002 à 2004. C’est, également, la première femme dans l'histoire du pays à gouverner une province – celle de Bamiyan – de 2005 à 2013.
"Etre la première femme gouverneur, c'est un défi pour ma sécurité. Vous savez, je suis une cible idéale pour les extrémistes. Ils seront ravis s'ils parviennent à m'atteindre", confie-t-elle.
Pourtant, dans les hauts plateaux du cœur de l’Afghanistan, Habiba Sarabi a conduit des réformes en faveur de l’éducation et promu un plus grand rôle des femmes afghanes dans la société.
“La province de Bamiyan, dont les célèbres Bouddhas géants ont été détruits il y a 20 ans par les talibans, est l’une des plus pauvres d’Afghanistan. Aujourd'hui, le niveau d’éducation des femmes est le plus élevé du pays, et la participation électorale la plus forte,” témoigne David Martinon, Ambassadeur de France en Afghanistan.
Au cours des dernières élections, la participation électorale des femmes dans la province de Bamiyan a même été supérieure à celle des hommes.
“Madame Sarabi est aujourd’hui une source d’inspiration pour de nombreux jeunes afghans et jeunes afghanes,” ajoute t-il, lors de la remise virtuelle du prix. “C’est une génération qui croit dans les mêmes idéaux qu’elle, qui croit en un nouvel Afghanistan, un Afghanistan enfin en paix dans lequel chaque Afghan verra ses droits essentiels garantis.”
Et d’ajouter : “Elle n’est pas impressionnable par des Talibans.”