Vendredi 26 novembre, en début de soirée à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), une femme de 44 ans a été poignardée à mort par son ancien compagnon devant son appartement alors que ses deux enfants l’attendaient à l’intérieur. 

La nouvelle est bouleversante, mais, hélas, pas surprenante, puisque la France possède l’un des taux de féminicide les plus élevés d’Europe. En 2021, 113 féminicides ont eu lieu sur son territoire.

Illustration de la défaillance d’un système de protection des victimes de violences, l’homme avait déjà été condamné pour violence contre cette même femme en juillet dernier à un an de prison dont six mois ferme. La victime bénéficiait quant à elle d’un Téléphone Grave Danger qu’elle avait déjà activé en octobre dernier. Le drame n’a pourtant pu être empêché.

Qu’entend-on exactement par féminicide ? 

Il conviendrait tout d’abord de rappeler ce qu’est précisément un féminicide. Si le terme a aujourd’hui envahi les médias français, c’est en partie grâce au travail du collectif « Féminicides par compagnon ou ex », qui recense depuis 2016 les femmes tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Le collectif se concentre uniquement sur les féminicides dits conjugaux, mais la définition du terme est bien plus large. 

En effet, pour le Petit Robert, qui fait figurer ce terme depuis 2015, « le féminicide est le meurtre d’une femme, d’une fille, en raison de son sexe. » Il aura fallu attendre 2021 pour le voir apparaître dans le Larousse.

En revanche, l’Académie française ne le reconnaît toujours pas comme un mot de la langue française et il reste tout aussi absent du Code Pénal, ce dernier jugeant que les dispositions actuelles sont suffisantes. L’article 221-4 du Code pénal relatif aux homicides considère ainsi comme une circonstance aggravante le fait qu’un meurtre soit commis « par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » ou « à raison de l’orientation sexuelle de la victime. » La peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité. 

Selon la rapporteure Fiona Lazaar, il reste important de nommer précisément  le terme de féminicide, car cela permet de « nommer un phénomène de société qui nécessite des réponses spécifiquement adaptées ».

4 faits essentiels à connaître sur les féminicides en France
Comment se caractérise le féminicide en France et en Europe ? 

La France possède l’un des taux de féminicides les plus élevés d’Europe depuis de nombreuses années.

En 2017, selon le rapport d’Eurostat, la France arrivait en deuxième position (123 féminicides) derrière l’Allemagne (189), les autres pays, dont la Roumanie (84), le Royaume-Uni (70) ou l'Italie (65), se situant loin derrière. Si l’on ramène ce chiffre proportionnellement au nombre d’habitants par pays, la France se classe tout de même en sixème position

Si 2017 paraît éloigné dans le temps, en 2019, ce chiffre a augmenté puisque 146 femmes ont été tuées en France par un partenaire ou un ex-partenaire, contre 117 en Allemagne.

L’année dernière pourrait quant à elle être l’année de la grande illusion. Certes, les chiffres ont baissé en France (90), mais ils ont aussi baissé dans tous les pays d’Europe en raison des confinements successifs. Néanmoins, les plateformes de signalement en ligne des violences sexuelles et sexistes ont enregistré une hausse de 40 % lors du premier confinement et de 60 % lors du deuxième. Finalement, les derniers chiffres fournis par les services de police et gendarmerie ont confirmé cette tendance, puisqu’une hausse de 10 % des violences conjugales a eu lieu sur cette même période. 

L’illusion aura été de courte durée, les féminicides étant repartis à la hausse en France comme dans les autres pays d’Europe depuis le début de l’année.

Comment la situation pourrait-elle s’améliorer ?

Les dernières études l’ont largement démontré : les mois qui suivent une rupture augmentent significativement le passage à l’acte, mais nous savons aussi que d’autres facteurs peuvent entrer en jeu. La violence repose en effet sur plusieurs facteurs opérant à quatre niveaux : individuel, relationnel et familial, communautaire, sociétal ou structurel. Une société où l'inégalité de genre perdure produit inlassablement des individus enclins à la reproduire à l’échelle individuelle. Pour améliorer la situation, une approche globale est nécessaire.

Souvent cité en exemple, le modèle espagnol semble fonctionner : le pays a réussi à réduire le nombre de féminicides sur son territoire de 25 % depuis 2004, après avoir adopté à l’unanimité la « loi de protection intégrale contre les violences de genre »..

La loi précise dès les premières lignes que « la violence basée sur le genre n’est pas un problème qui affecte la vie privée. Au contraire, il s’agit du symbole le plus brutal de l’inégalité existante dans notre société ».

En plus de campagnes de sensibilisation et de prévention, de nombreuses mesures sont mises en place, comme la création de tribunaux spécialisés en affaires de violences conjugales, un système informatique de suivi et de protection des victimes au niveau national, le port du bracelet anti-rapprochement pour les agresseurs, des agents de police spécialisés disponibles 365 jours par an, 24h/24, ainsi que la formation obligatoire pour les personnels (magistrats, médecins et forces de l’ordre) en contact avec les femmes victimes de violences.

Le bilan espagnol est positif puisque le taux de féminicide chute, mais cela illustre l'importance du pouvoir public de s’emparer du problème et de mettre en place des politiques efficaces ainsi que de les accompagner de moyens suffisants pour que celles-ci soient correctement appliquées.

Ce constat est partagé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui préconise comme approche pour mettre un terme au féminicide de renforcer la détection et la surveillance en améliorant notamment la collecte et l’analyse des données. Pour que celles-ci soient le plus efficaces possible, il est, selon l'OMS, primordial de former et sensibiliser le personnel de santé et de la police afin de permettre à ses professionnels de mieux repérer, détecter et documenter les cas de féminicide, l’objectif étant de définir les caractéristiques des agresseurs et de mettre en lumière les facteurs qui peuvent prévenir le passage à l’acte.

Ces diverses mesures restent toutefois des pistes à explorer, chaque pays possédant ses propres spécificités. 

Quels sont les acteurs clés de la lutte contre ce problème ?

À l’international, ONU Femmes, l’organisation des Nations Unies consacrée à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes, met en œuvre des programmes et des politiques pour défendre leurs droits fondamentaux. Au cours des dernières années, l’organisation a notamment participé à la restructuration et la formation des policiers au Maroc afin d’améliorer la prise en charge des victimes de violences

Chaque année, ONU Femmes organise la campagne internationale des 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre du 25 novembre au 10 décembre. Le thème de cette année est «  Orangez le monde : mettre fin dès maintenant à la violence à l’égard des femmes !  »

En France, de nombreuses associations et collectifs féministes demandent qu’un budget de 1 milliard d’euros soit alloué contre les violences sexistes et sexuelles. « C’est le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qui l’a préconisé », affirme Marylie Breuil. « Il se base sur le budget qui est mis en place en Espagne pour lutter contre ces violences », a précisé Marylie Breuil du collectif #NousToutes au Nouvel Observateur.

En 2020, le budget de l’État français destiné à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles s’élevait à 360 millions d’euros, mais la moitié était allouée à la promotion des femmes à l’étranger. Un budget jugé dérisoire pour les associations et collectifs féministes. 

Avec une approche souhaitant englober toutes les sphères de la société, le collectif #NousToutes a défini trois axes pour mettre fin aux violences sexistes et sexuelles en France.

Le premier serait la formation des forces de l’ordre qui accueillent les victimes. D’après une enquête menée par le collectif, 66 % des femmes sondées ont fait état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre.

Le deuxième axe serait la prévention dès le plus jeune âge des comportements violents, enfin le dernier serait l’augmentation des places d’hébergement supplémentaires pour les femmes victimes de violences. D’après le dernier rapport publié par la Fondation des femmes et la Fédération nationale solidarité femmes, il manquerait actuellement 15 000 places en France et seulement 12 % des demandes d’hébergement par des femmes victimes aboutirait.

Comment agir individuellement ? 

ONU Femmes a dressé une liste de manières par lesquelles il vous est possible d’agir.

Si une victime de violence vient se confier à vous, la première chose est de faire preuve d’écoute et d’empathie. Il faut tout d’abord rassurer la personne en lui indiquant que vous la croyez et que vous ne remettez pas sa parole en doute. L’objectif est de créer un espace sûr et de confiance ; ne le jugez pas et surtout ne la blâmez pas. Trop souvent, la violence physique s'accompagne d’une violence psychologique.Il est donc aussi important de déculpabiliser la victime, lui dire que l’agresseur n’avait pas le droit : « Je te crois, ce n’est pas ta faute, tu n’y es pour rien. » 

Observez et apprenez à détecter les possibles signes d’abus. Si vous vous craignez qu’une amie subisse des violences au sein de son couple, réfléchissez à ces signes et engagez la conversation avec cette dernière. Si vous craignez de la mettre en danger, vous pouvez d’abord vous rapprocher d’une association contre les violences faites aux femmes.

Quelles actions pouvons-nous entreprendre ? 

Vous pouvez rejoindre Global Citizen pour passer à l’action en vous informant sur la violence basée sur le genre et sur son augmentation pendant la pandémie de COVID-19 ici. Vous pouvez aussi tester vos connaissances sur la manière dont la France lutte pour l’égalité de genre.

Il vous est également possible de vous engager ou de soutenir les associations et collectifs féministes engagés dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles tels que #NousToutes, la Fondation des femmes et En avant toute(s) afin de faire pression sur le gouvernement français pour débloquer un budget à la hauteur de ce fléau. 

A l’échelle internationale, ONU Femmes travaille avec des organisations partout dans le monde pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes. Si vous en avez la possibilité, vous pouvez faire un don pour les soutenir ici.

Enfin, si vous êtes victime par l’un des problèmes évoqués dans cet article, vous pouvez trouver de l’aide des numéros suivants :

  • 17 : Police

  • 15 : SAMU

  • 18 : Pompiers

  • 112 : Numéro d’urgence européen

  • 3919 : Violences Femmes Infos

  • 119 : Enfance en danger

  • 114 : Numéro d’urgence pour personnes sourdes et malentendantes


Les droits des femmes sont des droits humains et ils doivent être soutenus et protégés. À l'occasion des 16 jours d'activisme contre la violence basée sur le genre, du 25 novembre au 10 décembre, nous demandons aux Global Citizens de se joindre à nous pour relever le défi des #16jours, en accomplissant chaque jour une action simple qui vous permettra d'en savoir plus sur les droits des femmes, l'autonomie corporelle et la violence basée sur le genre en ligne.

Vous pourrez engager des conversations essentielles avec vos proches, promouvoir sur les réseaux sociaux le droit des femmes et des filles à disposer de leur propre corps, soutenir les entreprises dirigées par des femmes dans votre communauté, signer des pétitions en faveur de l'autonomie corporelle, etc. Pour en savoir plus sur le défi #16Jours et commencer à passer à l'action, cliquez ici.

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Tout ce que vous devez savoir sur le féminicide en France

Par Antoine Le Seigle