Il y a un an, la France s’est engagée dans un exercice démocratique pour le moins innovant : donner directement la parole au peuple pour solutionner le changement climatique.
Lors de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), 150 citoyens ordinaires se sont réunis pour proposer une série de mesures destinées à réduire les émissions de CO2 de 40 % d’ici 2030. Tirés au sort de manière à refléter la diversité de la société française, les participants ont pris partie à cette initiative unique en son genre en débattant de leurs idées pendant neuf mois, avant de s’accorder sur 149 recommandations.
Aujourd’hui, 146 de ces propositions ont été acceptées par le Président Emmanuel Macron. Certaines devraient faire l’objet d’un projet de loi au cours des prochains mois, tandis que d’autres devraient être soumises à un référendum.
Alors que l’heure est au bilan, Global Citizen s’est entretenu avec Sarah Grau, directrice du think-thank Décider ensemble et observatrice des questions de démocratie participative et d’écologie, pour comprendre l’impact de la CCC sur le paysage démocratique français. Découvrez cet entretien ci-dessous.
Global Citizen : Comment définir la démocratie participative ?
Sarah Grau : Pour moi, la démocratie participative, c'est réfléchir à comment faire participer les citoyens à la décision publique en dehors des temps d'élection. Aujourd'hui, je pense que c'est un enjeu particulièrement important, notamment en France, parce qu'il y a une méfiance de plus en plus forte des citoyens envers leurs dirigeants. On l'a vu avec les gilets jaunes, avec diverses mobilisations sociales ... La démocratie représentative semble fragilisée par tout ça. Et je pense que [la démocratie participative] peut aider à trouver de nouvelles formes de participation citoyenne pour retisser cette confiance entre élus et citoyens.
GC : Vous avez parlé des gilets jaunes. La CCC avait été mise en place en réponse à ce mécontentement. Est ce qu'il y a d'autres raisons qui peuvent expliquer ce manque de confiance aujourd’hui ?
SG : D'abord, on a une impression de manque de pouvoir des élus, notamment face au pouvoir des multinationales, donc on a de plus en plus l'impression que le pouvoir politique n'a plus forcément la main sur tout. Ensuite, il y a la montée en puissance des nouveaux outils de communication, notamment du numérique, qui fait que chacun va pouvoir être expert de tout et ne plus faire confiance à une parole légitime ... Et puis, il y a cette question du renouvellement du personnel politique. Il y a cette idée qui s'est inscrite — et dont l'extrême droite peut jouer — que la gauche et la droite, c'est la même chose, et que, notamment sur les questions de politique économique, on a une forme de continuité quelle que soit la majorité en place. Il y a l'impression que tout le monde propose la même chose.
GC : En quoi la CCC a été un exercice innovant pour répondre à ces défis ?
SG : La CCC est très clairement un exercice très novateur, très innovant et très intéressant. Il y a eu des conventions citoyennes dans d'autres pays, notamment en Irlande, où la Constitution a été retravaillée en s'appuyant sur une convention citoyenne, ce qui a permis de faire évoluer le pays sur certaines questions comme l'avortement ou le mariage homosexuel; donc la France n'est pas la première à mettre en place ce genre d'outil.
En démocratie représentative, ce sont toujours les mêmes qui risquent de s'exprimer et de prendre la parole, et le tirage au sort permet en partie de passer au dessus de ça. La CCC a aussi permis de réunir des gens qui n'ont pas l'habitude de se rencontrer. C'est très rare aujourd'hui dans notre société d'avoir ce type de mélange.
On a aussi fait confiance aux citoyens pour leur dire : « Vous êtes capable de prendre un sujet complexe tel que le changement climatique », qui est un sujet complexe, voire scientifique. C'est quelque chose de très important en démocratie participative, de placer le citoyen à égalité avec l'élu et de lui faire confiance. Il n'y aura pas forcément la même expertise, mais il est capable de comprendre les problèmes et de se les approprier à travers son expérience quotidienne. On a vraiment fait confiance à l’intelligence collective et à la discussion pour arriver à des propositions communes. C'est assez intéressant de voir que, malgré des profils assez divers, on arrive quand même à des propositions très vertes et très proches des partis écologistes.
Comme en Irlande, on voit que quand on réunit des gens très différents pour discuter sur les sujets de société, on est arrivé à des avancées et on a pu faire accepter à la société des sujets polémiques avec plus de facilité. Comme ce sont des citoyens qui se sont mis d’accord, cela peut renforcer l'acceptabilité [des mesures] auprès de l'ensemble de la société plutôt dans le cas ou elles seraient imposées par des élus, notamment si [elles] n’étaient pas dans le programme politique de l'élu pour qui on a voté.
Mais le chemin est encore long. Il y a encore tout un travail à faire pour faire comprendre qu'un démocratie participative peut avoir une légitimité. La deuxième chose, c'est que pour l'instant, le gouvernement a imposé l'ordre du jour de la CCC; on ne lui a pas laissé le choix. Ensuite, on a la question de ce qu'on va faire de toutes ces propositions, donc on ne peut pas dire que l'exercice est réussi à 100 % puisqu'on attend encore de voir comment [elles] vont très concrètement être mises en place.
Je pense que c'est une très bonne chose que [la CCC] ait été mise en place, c'est novateur, mais ce ne sera réussi qu'à condition que les propositions soient appliquées.
GC : Sur quels autres enjeux pourrait-on envisager de futures Conventions citoyennes ?
SG : On pourrait envisager de discuter de la pauvreté, notamment des liens entre pauvreté et délinquance, pour comprendre pourquoi certaines populations sont plus pauvres et plus défavorisées. Comme avec la question climatique, on pourrait vraiment faire travailler les gens sur des sujets concrets, pendant plusieurs heures de suite.
Je pense que ce qui est intéressant aussi dans l'exercice de la démocratie participative, c'est qu’elle peut éviter des écueils : par exemple, avec la taxe carbone, on a voulu taxer l'essence et on a commencé à taxer les plus pauvres. Il faudrait lier la question écologique à la question de justice sociale, un enjeu qui était d'ailleurs au coeur du mandat de la CCC. Parce qu'au fond, les gens qui polluent ne sont pas les plus pauvres, et leur faire peser ce poids [est injuste].
Cet entretien a été révisé et condensé par souci de longueur et de clarté.