Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit lorsque vous pensez au changement climatique ?
Beaucoup s'imaginent un ours polaire agrippé à un bloc de glace ou une vague déchaînée déferlant sur le littoral. D'autres pensent à un village reculé englouti par la montée des eaux ou aux conséquences sinistres d'une catastrophe naturelle sur une île tropicale lointaine.
Mais pour Aliénor (Allie) Rougeot, le changement climatique est bien plus qu'une catastrophe environnementale mondiale : c'est une question de droits humains.
Activiste climatique de 22 ans à la tête de Fridays For Future Toronto (FFFT), elle tire son lien personnel avec la justice sociale de son éducation dans le sud de la France, où elle a observé la crise des réfugiés d'un œil inquiet et où ses parents ont inspiré son activisme naissant.
Son intérêt pour les luttes des réfugiés, des personnes déplacées et d'autres groupes marginalisés l'a finalement amenée à explorer les liens entre ces enjeux et les inégalités environnementales.
« Je travaillais beaucoup sur les droits des réfugiés en Méditerranée, et j'entendais dire que le changement climatique allait aggraver une situation qui me semblait déjà terrible, se souvient-elle. Cela m'a préparée à aborder la crise climatique du point de vue des droits humains et c'est ainsi que je l'ai toujours abordée. »
Bien que la graine de l'activisme était déjà bien ancrée dans son esprit, c'est peu après avoir déménagé à Toronto pour y entamer des études de sciences économiques, avec une vision optimiste du Canada comme phare du progressisme, que Mme Rougeot a été désillusionnée par l'héritage de colonialisme et d'exploitation des ressources naturelles du pays.
Très vite, elle a fait la connaissance d'un groupe de personnes âgées avec lesquelles elle a partagé son point de vue sur la justice climatique. Le groupe lui a suggéré d'agir ; c'est alors qu'est née l'idée de créer une section locale du mouvement de grève Fridays For Future.
« Ils m'ont dit : "si tu commences la version torontoise des grèves sur le climat scolaire que Greta a lancées en Suède, nous te soutiendrons”, a raconté l'activiste à Global Citizen. Ils m'ont tout de suite donné ce soutien et je l'ai donc fait avec eux. »
Ancrant son approche dans l'autonomisation de la jeunesse canadienne, l'organisation a entrepris de lutter pour des questions essentielles telles que la protection de la terre, de la vie et de l'eau, une transition juste, la justice raciale et environnementale et l'autodétermination des Autochtones. En tant que modus operandi, l'objectif central du mouvement est de sensibiliser au changement climatique par le biais de rassemblements et d'actions régulières organisées dans la ville.
Depuis sa création, FFFT est passé d'un petit réseau de jeunes à une organisation très active dans les médias sociaux. Considérant les rassemblements comme une opportunité de sensibilisation et de transformation, le mouvement a contribué à l'organisation de nombreuses manifestations à Toronto, attirant des foules de personnes dans les lieux emblématiques de la ville pour exiger des actions concrètes de la part des gouvernements provincial et fédéral.
« Nous avons organisé une première grève, puis beaucoup, beaucoup d'autres. C'est comme ça que je suis passée de citoyenne concernée à activiste à part entière », a déclaré Mme Rougeot.
Au fil du temps, la militante a acquis une multitude de connaissances issues de son expérience en matière d'organisation communautaire, qu'elle cherche à partager avec d'autres aux niveaux canadien et mondial.
En 2019, elle comptait parmi les 30 principaux leaders canadiens en matière de durabilité de Corporate Knights. Elle a également pris part à une tournée d'action pour le climat aux côtés de David Suzuki et Stephen Lewis, défenseurs de la justice climatique de renommée nationale. Un an plus tard, elle était invitée à prendre la parole lors de l'événement virtuel de la Journée mondiale de l'environnement des Nations Unies, où elle a partagé son point de vue avec des décideurs et des leaders d'opinion aux premières loges de l'élaboration des politiques internationales.
En bref, le curriculum vitae de Mme Rougeot est truffé de distinctions qui l'ont propulsée sous les feux de la rampe, tant au Canada qu'à l'étranger. Cependant, elle reste profondément modeste au sujet de toutes ses réalisations, qu'elle attribue à une communauté qui la soutient et à un mouvement qui était déjà en marche bien avant qu'elle n’en rejoigne les rangs.
« En réalité, le militantisme climatique est pratiqué depuis des décennies au Canada par les peuples autochtones, les défenseurs de la nature et d'autres générations. Je détesterais que les gens me considèrent comme la première ou la fondatrice de ce mouvement, car ce n'est tout simplement pas vrai, a-t-elle déclaré. Mon histoire personnelle repose sur le fait que des adultes m'ont apporté leur soutien. »
La même communauté de mentors à laquelle Mme Rougeot a fait appel pour obtenir du soutien lui a également fourni des idées sur les défis auxquels le Canada est confronté en matière de justice climatique. Son approche consiste à faire avancer la justice climatique sans tenir compte de ces limites, en lançant de forts appels à l'action immédiate.
En particulier, FFFT est connu pour sa position ferme sur le changement climatique face à ce qui est perçu comme une inaction politique. Parmi les revendications du mouvement figure l'appel au Canada à respecter son engagement international de réduction des émissions de carbone de 60 % d'ici 2030, un objectif bien supérieur au dernier seuil national fixé par le gouvernement du Premier ministre Justin Trudeau. La mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP), l'inclusion des voix marginalisées dans les processus décisionnels, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la décarbonisation de l'économie canadienne d'ici 2050 sont également au cœur de la plateforme de l'organisation.
Ces revendications peuvent sembler spectaculaires, mais elles sont également nécessaires pour éviter les conséquences les plus désastreuses du changement climatique et assurer un avenir aux jeunes d'aujourd'hui. D'ailleurs, ces effets se font déjà sentir dans tout le pays, a fait remarquer Mme Rougeot.
« En ce moment, nous avons des feux de friches en Colombie-Britannique et des inondations. Nos maisons sont touchées ; notre nourriture est touchée », a-t-elle déclaré.
Face à une telle urgence, il est tout à fait naturel de se sentir dépassé, en colère, anxieux - ou une combinaison de toutes ces émotions. L'éco-anxiété est un terme qui a été utilisé pour décrire ces sentiments, en particulier dans un monde qui semble avoir perdu le contrôle de son propre destin climatique.
Bien que la définition de l'éco-anxiété soit controversée, le terme englobe une gamme d'émotions allant du désespoir au désarroi. Pour faire face à de tels sentiments, Mme Rougeot recommande de trouver des moyens de renouer avec la nature et de se rapprocher délibérément d'un système de soutien, c'est-à-dire d'un groupe de personnes qui comprennent ce que vous vivez et peuvent vous aider à surmonter cette épreuve.
Toutefois, l'approche qu'elle préfère est de « passer directement à l'action » lorsque cela est possible et que l'on en a les moyens.
Le passage à l'action peut prendre des formes différentes d'une personne à l'autre : certains seront plus enclins à rejoindre un mouvement existant tel que FFFT. D'autres, au contraire, peuvent créer leur propre mouvement, soutenir des institutions financières plus vertes, participer à des rassemblements ou entrer en contact avec les militants, comme le souligne Mme Rougeot.
En toutes circonstances, la militante insiste sur le fait que l'activisme est souvent une question de privilèges et d’aptitudes physiques et qu'il n'est pas forcément identique pour tout le monde.
« Il y a une place pour tout le monde dans le mouvement climatique, mais il n'est pas nécessaire de faire du militantisme climatique de la manière dont je le fais. Il n'est pas nécessaire de changer complètement sa vie. Il suffit de faire les adaptations qui s'offrent à vous », a-t-elle déclaré.
Dans une perspective d'avenir, Mme Rougeot espère voir une plus grande attention portée au consumérisme et à l'adoption d'une économie circulaire, ainsi que des changements substantiels aux systèmes de gouvernance existants. Elle encourage les Canadiens à relever le défi alors que FFFT se prépare à organiser sa première grève du climat depuis que la pandémie de COVID-19 a entravé la possibilité de se réunir en personne.
Son message final ? Il n'est jamais trop tard pour s'engager. « Il se fait très tard », d'autant plus que le monde se rapproche du seuil de réchauffement de 1,5°C fixé par l'accord de Paris, mais il est temps d'agir.
« Nous sommes à un moment de l'histoire où nous pouvons prévenir de futures souffrances et cela est très rare. Donc à mes yeux, il est absolument impératif que nous agissions maintenant. »