Pour la toute première fois, le département de la pêche et de la chasse de l’Alaska a bloqué la récolte du crabe des neiges de cette saison parce que les niveaux de crabe dans la région sont trop bas, selon un communiqué de presse

La création d’une pause saisonnière entre la pose des casiers et la pêche au chalut pourrait aider les populations à retrouver des niveaux plus sains, mais on ne sait pas si l’aggravation des effets du changement climatique modifiera à jamais l’industrie, en la réduisant jusqu’à ce qu’elle devienne plus un folklore qu’un point d’ancrage économique pour les communautés locales. 

Les scientifiques et les organismes de réglementation surveilleront la situation dans les mois à venir, en pesant les intérêts concurrents de la conservation et des moyens de subsistance et en déterminant à quoi ressemblera la prochaine saison.

« Comprenant que les fermetures de la pêche au crabe ont des impacts considérables sur les pêcheurs, l’industrie et les communautés, le Département de la pêche et de la chasse de l’Alaska doit trouver un équilibre entre ces impacts et la nécessité d’assurer la conservation et la durabilité à long terme des stocks de crabes », indique le communiqué de presse. 

« La gestion du crabe des neiges dans la mer de Béring doit désormais se concentrer sur la conservation et la reconstitution, compte tenu de l’état du stock. Des efforts sont en cours pour faire progresser nos connaissances scientifiques et notre compréhension de la dynamique des populations de crabes. »

Quelle que soit leur décision, elle aura des répercussions dans le monde entier, car la crise du climat et de la biodiversité mine les diverses industries et communautés qui dépendent de la faune sauvage, notamment l’agriculture, la pêche, le tourisme, et bien d’autres choses encore. 

3 choses essentielles à savoir sur la disparition du crabe des neiges d’Alaska
  • Le réchauffement de la température des océans a réduit l’habitat du crabe des neiges, et la surpêche a exacerbé cette évolution.  

  • 90 % des créatures marines pourraient disparaitre d’ici la fin du siècle si les températures continuent à augmenter au rythme actuel. 

  • Les pays ont la possibilité de régénérer les écosystèmes marins en éliminant progressivement les combustibles fossiles et en mettant en place des politiques de pêche adaptées.


Qu’est-il arrivé aux crabes des neiges ?

En 1980, les études de population estimaient à près de 4 milliards le nombre de crabes des neiges dans les mers au large des côtes de l’Alaska. En 2021, ce nombre est tombé à environ 250 millions.

Le consensus attribue ce déclin au changement climatique. Peu de régions du monde se sont réchauffées aussi rapidement que l’Alaska, dont la température a augmenté de 3 degrés Fahrenheit depuis 1925. Étant donné que l’océan absorbe la majorité de la chaleur excédentaire piégée dans l’atmosphère par les gaz à effet de serre, cela signifie que les eaux autour de l’Alaska se sont encore plus réchauffées.  

Les crabes des neiges dépendent de la formation de la glace dans la mer de Béring qui crée une bande d’eau extrêmement froide au fond de l’océan. C’est dans cette couche glacée que les jeunes crabes peuvent grandir sans être menacés par les prédateurs. Mais ces dernières années, la glace s’est retirée, et ce sanctuaire froid s’est rétréci, ce qui expose davantage les crabes.

Cela signifierait qu’une réduction rapide des gaz à effet de serre pour stabiliser les températures mondiales donnerait aux crabes les meilleures chances de survie, notamment parce que les animaux peuvent se déplacer vers des zones plus sures et s’adapter si on leur laisse suffisamment de temps.

Mais un fil de discussion sur Twitter du journaliste scientifique Spencer Roberts montre que l’histoire ne se résume pas au changement climatique et que les prédateurs naturels ne sont pas les seuls à avoir profité des crabes des neiges exposés.

Les bateaux de pêche ont saisi l’occasion pour prospecter des eaux auparavant inaccessibles et pêcher des crabes dans leurs zones de reproduction. Grâce à l’imagerie satellitaire et aux registres de pêche, Spencer Roberts montre que les navires de pêche ont intensivement chaluté les emplacements exposés des crabes au moment où ils étaient le plus vulnérables. Selon Roberts, c’est cette surpêche, rendue possible par la faiblesse des règlementations, qui a véritablement conduit les crabes à un niveau catastrophique. 

« Les preuves suggèrent que la fonte de la glace de mer a permis aux navires de pêche de décimer les crabes dans un habitat qui était auparavant inaccessible en hiver », résume le journaliste scientifique. 


Quelle est la situation dans son ensemble ?

Le changement climatique que nous connaissons actuellement n’est pas un phénomène naturel. Elle est le résultat d’une économie mondiale qui privilégie le profit financier au détriment du bien-être des populations et de l’environnement, et qui autorise la poursuite d’activités manifestement nuisibles si elles sont rentables. 

L’industrie de la pêche est un parfait microcosme des dommages cumulatifs causés par ce système. 

Pendant des décennies, les navires de pêche ont augmenté le volume de leurs prises en utilisant des équipements tels que de gigantesques filets de chalutage, qui arrachent des écosystèmes entiers d’animaux à leur habitat, entraînant et tuant au passage d’innombrables espèces accessoires non souhaitées. Par ailleurs, les navires de pêche industrielle ont émis d’énormes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et ont fortement pollué les eaux avec des déversements de produits chimiques et de vieux équipements.

Les formes durables de pêche qui existaient dans le passé ont pratiquement disparu, car la notion de « récolte honorable », qui consiste à ne prendre que ce dont on a besoin et à respecter les limites écologiques, a été mise de côté au profit d’une éthique économique fondée sur le principe du « le gagnant prend tout », qui ignore l’environnement au nom de la recherche du profit.

Au cours des dernières décennies, les populations de poissons du monde entier sont tombées à des niveaux très bas et ont été chassées jusqu’à l’extinction. Outre la menace implacable de la pêche industrielle, le changement climatique a rendu de nombreux habitats inhospitaliers. Les récifs coralliens, qui constituaient d’abondants refuges pour l’épanouissement écologique, ont été brulés par les vagues de chaleur marines, se transformant souvent en fossiles sans vie. 

Les crabes des neiges de l’Alaska ne sont qu’un exemple du tribut que cet assaut multiforme peut faire payer à une espèce. Leur survie future dépend d’une refonte des politiques marines et économiques dans le monde entier. 

Que faut-il faire ?

La protection à la fois des espèces marines et de la pêche de subsistance durable nécessite plusieurs interventions. 

Le ministère de la Pêche et de la Chasse de l’Alaska a pris la bonne décision en interrompant la saison de pêche pour permettre aux crabes des neiges de se rétablir temporairement. Les autres gouvernements du monde entier qui observent des déclins similaires devraient prendre la même mesure. 

Mais toute pause doit s’accompagner d’un soutien économique aux pêcheurs concernés. Dans le cas des pêcheurs de crabes de l’Alaska, les demandes d’aide financière doivent être satisfaites afin qu’ils puissent traverser les mois à venir sans difficultés. À l’avenir, ils auront besoin d’une aide financière pour se reconvertir dans d’autres formes de pêche ou dans d’autres secteurs d’activité si le crabe des neiges ne retrouve jamais un niveau suffisamment stable pour permettre la reprise des quotas de pêche historiques.

Quand et si les crabes des neiges se rétablissent, de nouvelles politiques de pêche devront être adoptées pour garantir la sauvegarde de leurs zones de reproduction et la surveillance constante des niveaux de population afin d’éviter la surpêche. Une fois ces politiques adoptées, l’application stricte de la règlementation à l’encontre des mauvais acteurs doit devenir la norme pour empêcher des opérations de marché noir comme celles qui fleurissent aujourd’hui. 

Les pays doivent ensuite coopérer à l’échelle mondiale pour veiller à ce que les eaux situées en dehors des zones de pêche nationales soient également correctement protégées et que les zones de conservation soient étendues.

Plus généralement, la crise environnementale qui engloutit la planète doit être résolue si l’on veut pouvoir pêcher des crabes à l’avenir. Si les températures continuent à augmenter selon la trajectoire actuelle, jusqu’à 90 % des espèces marines disparaîtront d’ici la fin du siècle.  

Cela signifie que l’utilisation des combustibles fossiles doit être réduite de moitié d’ici la fin de la décennie, puis diminuer de manière exponentielle jusqu’à ce que les émissions soient nulles. Le secteur de la pêche peut jouer un rôle à cet égard en investissant dans des véhicules plus efficaces, en adoptant des carburants moins nocifs, en améliorant les politiques portuaires et d’amarrage et en limitant globalement le temps passé sur l’eau.

Le crabe des neiges est une espèce emblématique et la pêche est une vocation fondamentale. Seule une transition équitable vers une économie régénératrice, en s’éloignant des combustibles fossiles, peut les préserver. 

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Par Joe McCarthy